©1989Sjón: Ange, chapeau haut de forme et fraise__ _ _ _ _Traduction libre de Ásdís Ólafsdóttir:©-1995
 
 

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il s'en alla
il s'en alla et resta au bord d'un fleuve blanc.
il resta entre des arbres blancs dans l'herbe blanche
sous un soleil blanc.
et il tint une pierre blanche dans la main.
tout est blanc.
il s'en alla et resta au bord d'un fleuve noir.
il resta entre des arbres noirs dans l'herbe noire
sous un soleil noir.
et il tint une pierre noire dans la main.
tout est noir.

konrad bayer

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1
 
 

Une maison au bord d'un fleuve. Des rideaux blancs ont été aspirés à l'extérieur d'une fenêtre au deuxième étage et ils ondoient dans la brise de midi faisant courir des ombres claires dans la chambre derrière.
 

Un jeune homme et une jeune fille dorment dans un lit et des livres sont empilés par-ci et par-là sur le sol et des vêtements sont suspendus à des cintres sur d'innombrables clous aux murs et des jantes de toutes tailles et toutes sortes sont accrochées au plafond. Les rayons du soleil jouent sur le ciel argenté et les reflets bougent sur les paupières de la fille jusqu'à ce qu'elles tremblent et elle se réveille lentement et ouvre les yeux et regarde la lumière qui l'a réveillée mais le garçon dort encore avec la tête enfoncée sous la couette.

Elle se tourne sur le côté et observe un bon moment la couette monter et descendre avec la respiration profonde et cherche des images familières dans les motifs noirs et blancs de la housse qui ondule sur son corps et elle voit deux poissons et une route sur une colline et de la fumée d'une masse informe mais glisse ensuite sa main en dessous et effleure la poitrine chaude et descend le ventre et trouve le sexe à moitié durci qui est couché en biais sous le nombril et l'attrape doucement mais cela dérange le rêve du garçon et il sursaute et évite le contact de la fille.

Elle s'assied dans le lit et se glisse hors de la couette et se lève et prend un tee-shirt du mur et s'habille et va à la fenêtre et ramène les rideaux et l'ouvre plus grand en approfondissant le murmure du fleuve et la brise fait flotter ses cheveux noirs et elle appuie les mains sur le bord chaud de la fenêtre et se penche en dehors et laisse le soleil se réchauffer et les dernières minutes du midi remplir son être.

Des fenêtres alentour on entend des voix basses de radios et du bruissement de ventilateurs et du tintement de vaisselle. Et un canari noir dans une cage qui est placée entre des pots de fleurs sur le bord d'une fenêtre communique avec un canari blanc dans une cage sur un balcon qui donne sur la cour derrière la maison.

Dans la rue en bas des voitures sont immobiles et les pneus fondent au niveau du goudron mais semblent tourner quand la brume monte et ondule sur eux et l'odeur de goudron vient au-dessus du trottoir où les pigeons se pavanent autour du vendeur de glaces et piochent paresseusement après les miettes de pain et ne s'envolent pas même si les enfants tapent du pied par impatience quand le vendeur de glaces a la paresse de les servir mais reste dans la fraîcheur et sommeille au-dessus de la sauce au chocolat calme et le parfum sucré se mêle à l'odeur et vient sur le bord du fleuve où les fraisiers exhalent un doux parfum et des gens sont allongés avec les mains derrière la nuque ou sur le ventre et lisent des magazines à l'ombre de leurs propres têtes.

Un vieillard est assis sur un banc et repose ses mains sur une canne et observe deux filles qui sont sur leurs têtes l'une en face de l'autre avec les yeux fermés.

Quelqu'un est au milieu du pont et penche la tête et passe la main sur la rampe du pont et du sable fin s'envole de là dans le courant scintillant.

De l'autre côté du fleuve la vieille ville s'étire dans la brume bleue et d'elle s'élèvent trois tours roses mais au-dessus d'elles planent des cerfs-volants en forme de poissons.

Un jeune homme habillé dans une combinaison blanche descend la rue avec des rouleaux de papier dans une main et une boîte de colle et un pinceau dans l'autre. Il est nu-pieds et ne fait pas de bruit de pas et personne ne le remarque donc sauf la fille à la fenêtre. Il va vers une palissade en face de la maison avec une affiche qui dit que le "Cirque de Monde" est dans la ville et commence à la badigeonner de colle par de grands coups de pinceau et applique la feuille marron à travers la surface et l'étale et la lisse avec les paumes des mains et à la place de l'image d'une femme d'âge mûr avec un visage blanc de craie et des nains qui courent autour d'elle se trouve un ballon de football qui remplit la feuille et il n'est accompagné d'aucun texte sauf de la date du jour et du nom de deux équipes qui sont calligraphiées en rouge au milieu. Le jeune homme recule de deux pas et regarde le ballon mais sursaute quand un chat rampe d'en dessous de la palissade et traverse la rue en bondissant et entre dans la maison et il voit la fille et un sourire édenté éclaire le visage coupé et il place une main sur son coeur et lui envoie un baiser avec les doigts et appelle quelque chose mais alors les cloches des trois tours sonnent et l'étouffent et tout prend vie et il lui fait la main et ramasse la boîte de colle et le pinceau et continue sa route.

Elle se retourne et va sur la pointe des pieds vers la porte et l'ouvre et se glisse dans le couloir et entend qu'on frôle la porte d'entrée.

"Bonjour Boris !" Dit la fille.

Boris ne répond pas puisqu'il est le chat qui a bondi dans la maison. Il tient un bruant de neige dans la gueule et jette un regard méfiant vers la fille qui ferme la porte derrière lui. Elle choisit une rose dans un vase et va dans la cuisine et ouvre le refrigidaire et prend une boîte de fromage blanc et du lait et les met sur la table de la cuisine à côté de la rose et prend ensuite du sucre et des raisins secs dans un tiroir.

Le chat va directement dans la chambre à coucher et saute dans le lit à côté du garçon et dépose l'oiseau sur l'oreiller et se fourre sous la couette.
 
 

2
 
 

Le garçon fut allongé immobile. Il fut allongé sur le dos avec les jambes écartées et les bras de chaque côté du corps. Comme un x.

Route et colline. Nuit.

La route traversa la colline. La route fut la route vers la plage et retourna ensuite vers la route nationale de la ville. La colline fut une colline aveugle. La nuit fut une nuit avec une étoile.

La garçon fut allongé au bord de la route vers la colline. De l'autre côté de la route il n'y eut rien mais une fumée d'un feu invisible s'éleva de son centre. Sur la colline il y eut un panneau de circulation triangulaire avec un point d'exclamation et ne donna aucune ombre. L'étoile au ciel s'éteignit. La nuit devint plus noire. Une ombre sortit de l'obscurité. Elle monta la colline sur la route et se pencha vers le panneau. L'étoile s'allumât. L'ombre croisa les bras et les jambes et regarda le garçon.

Le garçon fut nu-pieds et ses talons égratignés jusqu'au sang enfoncés dans le sable. Les mains sans force dans les gants. Du sang coula d'une blessure sur un coude et d'une blessure sur un genou. Le pantalon et la veste absorbèrent le sang. Il resta immobile. Ses cheveux mouillés fermèrent les yeux et les traces de sang des narines divisèrent le visage en trois.

Les yeux du garçon bougèrent sous les paupières.

L'ombre se redressa et descendit la colline pas à pas vers le garçon. Elle fit un tour autour de lui et dessina un trait dans le sable avec l'orteil. Elle s'accroupit à côté de lui et enleva le chapeau haut de forme, une chevelure abondante tomba sur les épaules. Elle regarda dans le chapeau et prit un miroir rond et un rasoir. Elle détacha son foulard du cou et le déposa sur le sol devant elle. Elle plaça le miroir sur le sommet du chapeau et l'arrangea pour qu'elle se voit. Et ouvrit le rasoir et mit le tranchant sur son front et commença le rasage. Elle se pencha en avant et prit les boucles quand elles se détachèrent de la peau et les laissa tomber sur le foulard. De temps en temps elle arrêta le rasage et ramassa des cheveux qui s'accrochèrent à la toque ou arrangea ceux qui firent sur le foulard. Elle passa la main avec précaution sur le crâne rasé et ferma le rasoir et remit dans le chapeau avec le miroir mais sortit une aiguille et du fil. Elle plia le foulard autour des cheveux et cousit avec assurance toutes les ouvertures et coupa le fil. Elle piqua l'aiguille dans la bobine et remis la bobine dans le chapeau. Elle tapa doucement l'oreiller et égalisa son contenu. Et approcha du garçon et souleva sa tête avec précaution et plaça l'oreiller sous sa nuque. Et enleva sa cape et l'étendit sur lui. Ensuite elle remit son chapeau et attendit.

Dans la tête du garçon se trouva une petite fille. Elle fut allongée dans la pente en dessous de la première vertèbre et traça un ange dans la neige. Les autres enfants passèrent en vitesse autour d'elle sur des traîneaux et elle arrêta d'écarter et de rapprocher ses bras et jambes et écouta le sifflement quand ils la dépassèrent et la neige la couvrit. Elle étira sa langue et laissa les flocons de neige atterrir sur le bout de sa langue et fondre et couler froids dans la bouche. Et il lui sembla que tout devint calme. Elle observa le ciel. Un nuage de la même taille qu'elle passa à travers le soir et se transforma lentement de rien en requin et d'un requin en homme avec des cheveux longs et un oeil qui s'ouvrit noir et elle vit une étoile scintillante avant qu'il le fermât et elle referma les yeux.

Le ciel fut déjà gris et sans forme quand elle rouvrit les yeux et les autres enfants partis de la pente. Elle finit de faire l'ange et se leva et s'étira et balança les bras et sauta les pieds joints aussi loin en arrière qu'elle put. Elle partit sur la pointe des pieds et s'appliqua à ne pas laisser de traces de pas. Et puis elle l'observa bien. Alors elle entendit quelqu'un appeler son nom et elle le regarda une fois encore et partit vers chez elle en courant. Quand la petite fille arriva chez elle dans le nerf optique elle avait oublié l'ange.

Le feu sur la route fut refroidi et l'ombre but une gorgée d'alcool à la fraise d'un flasque en argent et regarda le dernier nuage de fumée s'éloigner. L'étoile s'était déplacée dans le ciel et se trouva juste au-dessus d'eux. Elle vissa le bouchon et mit le flasque dans sa botte. Le garçon soupira et tira sur la cape. L'ombre tira un mouchoir d'une de ses manches et attrapa un des coins pour étouffer le son d'une petite clochette qui y fut cousue. Elle enleva les gants des mains du garçon et plaça les mains sur la cape. Et coiffa les cheveux pour les enlever des yeux et mouilla le mouchoir avec de la salive et nettoya le sang des joues. La clochette s'échappa du poing et le métal froid toucha le cou du garçon et elle sonna.
 
 

3
 
 

Le garçon se réveille quand le chat se fourre sous la couette et le touche avec son museau humide. Il enlève la couette et caresse le chat mais se redresse quand il voit le bruant de neige et le touche avec le bout des doigts.

"Pourquoi t'as fait ça ?" Il demande à Boris qui excité flaire l'oiseau et parcourt le lit en braillant. "Je t'ai déjà dit que tu vas le payer dans la prochaine vie."

Il soulève doucement le bruant de neige et le laisse reposer dans la paume de sa main et caresse la poitrine tachetée avec un doigt et la sent se soulever et le coeur battre. Tout d'un coup le bruant de neige s'éveille de son coma de frayeur et ouvre les yeux et se soulève de la main en tournoyant et vole en gazouillant à travers la chambre. Le chat grimpe sur le dos nu du garçon qui crie et l'en enlève en tempêtant mais l'oiseau tourne en cercles avant de trouver la fenêtre et le garçon attrape le chat de justesse avant qu'il ne saute à sa poursuite. Il tient le chat furieux à une bonne distance et court vers la porte et le jette dans le couloir.

Le garçon entend la fille rire dans la cuisine et fait craquer ses doigts et balance la tête et trouve un pantalon et une chemise et s'habille tranquillement. Il monte sur le lit et se regarde dans le plafond et passe les doigts dans ses cheveux blonds.

La fille frappe à la porte et l'ouvre légèrement pour que le chat qui pousse le museau mouillé de lait dans l'ouverture ne puisse pas entrer.

"Je peux te proposer du petit déjeuner ou t'as fini ce que Boris t'a apporté ?" Elle pouffe de rire. "On ne m'embrasse pas bonjour ?"

"Il est fou ce chat !" Dit-il et marche vers la porte et pousse son nez dans l'ouverture et avance ses lèvres.

Et maintenant les bouts de nez se touchent et l'ouverture s'agrandit. Le chat passe la patte droite à l'intérieur de la porte et griffe le pied du garçon qui sursaute et ils s'embrassent mais le chat saute dans le lit et commence à se lécher. Et quand ils ont fini de s'embrasser le garçon regarde dans le décolleté de la fille et puis le chat qui s'est endormi sur son oreiller.

"Mjöll ! Tu as nourri une vipère à ton sein. Mais c'était bien intentionné de sa part."

"Boris est une chatte, Steinn."
 
 

4
 
 

"Un s'esquive !"

L'ombre poussa le chapeau au-dessus de l'oreille gauche et écouta dans la nuit. Silence de mort et silence de tombeau.

"Un s'esquive. Deux s'esquivent." Il chantonna et baissa le regard. "Trois s'esquivent." Le garçon ouvrit les yeux.

Steinn ouvrit les yeux. Il se redressa et regarda autour de lui mais ne vit rien. Il palpa son bras en descendant de l'épaule et détacha la manche de la veste de la plaie sur le coude. Il releva la jambe de son pantalon et toucha la coupure au genou mais ne ressentit pas de douleur. Il massa les orteils glacés. Il tâtonna pour trouver ses chaussures dans le noir et attrapa le pied de l'ombre.

"Bonne nuit !" L'ombre leva les yeux. "Il ne fait pas si nuit que ça !" Il salua Steinn en se découvrant.
 
 

5
 
 

"Ecoute !" Mjöll est debout dans la porte de la cuisine et a mis une robe courte et des chaussettes et des chaussures d'été et tient un livre ouvert et commence la lecture et lit de façon déterminée. "Le chat vipère est un animal curieux."

"Je m'y connais !" Steinn l'interrompt et palpe l'épaule où du sang filtre à travers la chemise blanche.

"Imaginez un chat qui est coupé sur toute la longueur en ne laissant que la colonne vertébrale et la queue et la moitié de la tête. Tel est le chat vipère."

"J'essaie de manger." Dit-il et frissonne de façon maniérée.

"Silence dans la cuisine. Si vous avez espéré devenir adulte écoutez et écoutez bien." Elle racle la gorge et continue. "Tel est le chat vipère sauf que la mâchoire inférieure existe mais elle est mince comme sur une vipère et les oreilles sont couchées en arrière comme sur un chat prêt à se battre. Il a le poil court et zébré mais l'abdomen est clair. Le chat vipère se comporte en tout comme une vipère et avance en ondulant et attrape de petits animaux en les hypnotisant et en leur injectant du poison. Il accouche de rejetons vivants et ne mue pas et a peur de l'eau. Voilà !" Elle ferme le livre et salue.

"Merci. Je sais ce que tu veux dire. Je peux remercier d'avoir Boris et pas un pur chat vipère". Steinn repousse son assiette.

"Exactement. Comment était le fromage blanc ?" Elle l'embrasse sur le front. "Tu ne trouves pas triste que les pétales de roses deviennent presque noires quand elles se mouillent ?"

"T'as écrit ça toi-même ?" Demande-t-il et enlève le livre de sa main et le feuillette et cherche de l'écriture manuscrite sur les pages à moitié vides.

"Non. C'est un livre qui était ici quand j'ai emménagé." Répond elle et enlève l'assiette de la table et la met dans l'évier. "Tu peux le garder si tu laves ton assiette toi-même je ne connais rien de plus ennuyeux que les raisins secs mouillés. Pourquoi tu ne les manges pas ?" Mjöll sort de la cuisine en sifflant.

Steinn se lève et commence à laver l'assiette et d'autres choses qui étaient dans l'évier. Il accorde la radio sur la fréquence arabe et augmente le volume. Un homme crie et de nombreux percussionnistes frappent de toute leur force avec les flûtistes qui soufflent autant qu'ils peuvent mais tous se taisent dès que le chanteur crie et ainsi de suite jusqu'à ce que Steinn ait finit la vaisselle et pousse le dernier raisin sec à travers la grille.
 
 

6
 
 

L'ombre ferma la bouche du garçon avec une main et mit l'index à ses lèvres avec l'autre et le fit taire et sortit la troisième vite comme un éclair et attrapa quelque chose dans l'air. Il laissa le garçon et ouvrit la paume. Il tint un raisin sec mouillé. Il observa longtemps le raisin et le garçon.

Steinn le regarda aussi et chercha les yeux de l'ombre. Ce qui scintilla pouvait aussi bien être une dent canine. Il eut envie de parler. De poser des questions et de raconter. Mais quand il essaya de formuler des phrases elles devinrent un jargon qu'il ne put pas prononcer. Les mots furent incompréhensibles et clairs à la fois.

"Q." Et il scruta l'obscurité pour d'éventuelles réactions. "Z ?"

L'ombre sourit. La troisième main disparut dans la poitrine et elle fit une culbute en arrière et bondit debout et saisit brusquement la cape sur le sable et s'en entoura. Elle tint une boîte en bois qu'elle ouvrit en poussant un bouton en obsidienne. Elle installa bien le raisin sec dans une fente dans le velours blanc au fond et ferma avec un bruit sec. Elle glissa la boîte dans sa poche en haut et joignit les mains et les tourna vers le haut et fit craquer les doigts.

"Prends une gorgée pendant que je cherche les chaussures sur la route." Elle avait disparu avant que le garçon réussit à attraper le flasque en argent.

"Nous voilà !" Les chaussures se trouvèrent aux pieds de Steinn. Il tendit le flasque dans l'obscurité.

"Et me voilà !" L'ombre se trouva derrière la garçon et se tendit au-dessus de son épaule pour attraper le flasque. "Mais tes chaussettes sont dans la poche gauche de la veste."

Steinn mit la main dans la poche et trouva des chaussettes blanches. Elles reposèrent enroulées dans sa paume et il plaça l'autre main sur elles comme sur une boule de neige. Il ressentit une appréhension douce et respira brusquement et le sentiment disparut. Il enfila les chaussettes.

L'ombre finit l'alcool à la fraise en une gorgée. "Maintenant j'aurai le hoquet !" Elle hoqueta et pointa sur l'oreiller. "Je peux ?" Le garçon lui tendit l'oreiller et elle le plaça sous le chapeau et arrangea le chapeau. "Il est un peu grand après que je me suis rasé." Elle jeta la tête plusieurs fois à droite et à gauche. "C'est mieux !" Elle fit semblant de sortir une montre de sa poche et la regarder. "Il faut qu'on commence à y aller." Dit-elle tout bas et arrêta de hoqueter. Elle s'accroupit à côté du garçon et lui mit les chaussures. Attacha les lacets et l'aida à se relever.

Steinn avait les jambes faibles et s'appuya contre l'ombre pour monter le bord de la route. L'ombre traversa la route en premier et poussa avec le pied d'invisibles objets en métal sans qu'ils fissent de bruit. Elle fit signe à Steinn de venir. En descendant le bord de la route de l'autre côté Steinn vit la silhouette de l'ombre se détacher contre le panneau sur la colline aveugle. Un instant. Mince avec un front haut et des lèvres minces et un petit menton et des lunettes sombres. Et il lui sembla qu'ils avaient le même âge. Steinn mit sa main sur l'épaule de l'ombre.

Ils marcha sur le sable.

Steinn essaya de saisir vers où ils s'orientèrent et ce que l'ombre suivit. Il n'y avait aucun signe sur le sable et ce n'était pas l'étoile. Elle apparut et disparut et il sembla à Steinn qu'elle fut soit devant eux soit derrière ou juste au-dessus de leurs têtes. L'ombre se tut et avança à pas sûrs. Mais sa démarche fut étrange d'une manière ou d'une autre. Lorsque Steinn hésita l'ombre hésita. Quand Steinn accéléra la marche l'ombre accéléra la marche. Et lorsque Steinn éprouva l'envie de sortir du chemin l'ombre sortit du chemin. Steinn eut l'impression que ce fut lui qui mena l'ombre et non l'ombre qui le mena. L'ombre bougea l'épaule libre comme pour attirer l'attention de Steinn à autre chose. Le sable s'étendit illimité dans tous les sens et toujours aussi doux sous le pied et quand Steinn regarda en bas il eut l'impression qu'ils marchèrent au même endroit mais que la terre bougea. Elle tourna contre eux comme un ballon noir et ils la firent tourner avec les pieds à travers l'univers sans soleil. Ils furent seuls. Et Steinn se rappela que quand on marche sur un ballon et marche droit devant soi le ballon roule dans le sens contraire. Et ils tournèrent en arrière dans le néant. Minuscules au-dessus d'une balle en acier à l'intérieur d'un étui encore plus grand et de temps à autre on tourna l'étui et maintenant il s'aperçut que l'étoile ne fut pas une étoile mais une ouverture et quand il regarda en haut il croisa un oeil bleu qui le fixa aussi. S'il ne marchait pas assez vigoureusement et si l'ombre ne marchait pas assez vigoureusement et si elle arrêtait de tourner et tourner en cercles et si la force attractive disparaissait. Il attrapa l'ombre de toute sa force pour garder l'équilibre et il attrapa l'ombre de toute sa force. Steinn eut les jambes molles. L'ombre s'arrêta et le releva.

"Nous voici !" Elle ouvrit le bras comme s'ils se trouvaient sur le sommet d'une montagne et qu'à leurs pieds s'ouvrait une grande vallée. Steinn entendit le clapotement d'eau et le flanc d'un bateau flotter contre le poteau d'une jetée.

"Tu ne viens pas ?" L'ombre se tint debout dans une barque blanche. Elle avança les mains vers le garçon et l'aida à monter à bord. "Elle s'appelle Morella !"

L'ombre rama sur la lagune noire. Steinn se pencha sur le plat-bord et rida la surface sombre de l'eau avec le dos de sa main.

"Je ne ferais pas ça. Compte !" L'ombre sortit une main et Steinn la palpa. "Ils sont combien ?"

Steinn leva trois doigts.
 
 

7
 
 

Steinn se lave le visage et les mains et se prépare mais a la paresse de se raser et pousse le menton en avant vers Mjöll qui a mit des lunettes de soleil et le chat dans un panier avec les affaires de bain. Il veut dire quelque chose mais voit le chat.

"Mjöll ! Les chats n'aiment pas les bains de soleil en ne savent pas nager. Même celui-ci." Il fait des grimaces à Boris. "Sauf si elle est un chat d'eau de l'autre côté. Ca ne me surprendrait pas !"

"Rappelle-moi surtout de faire une photo de toi en train de te raser. Tu disais que tu étais si mignon avec le savon partout, non ?" Répond elle et entoure ses épaules de son bras et se sourit à elle-même et à lui dans la glace.

"Dommage que je n'ai pas un rasoir ancien." Dit-il à lui-même l'air absorbé mais lui fait un clin d'oeil et commence à retrousser les manches. "Va chercher l'appareil photo et finissons en."

Mjöll dépose le panier. Le chat monte sur le water-closet et regarde le garçon pousser de la crème à raser dans la paume de sa main et la trouve appétissante mais éternue quand il met sa langue dedans. Steinn rit et a fini de s'enduire de la crème quand Mjöll arrive avec l'appareil photo et commence par cliquer sur le chat qui sursaute à la lumière du flash et sort de la salle de bains.

"Je voulais juste voir si tout marchait." Dit-elle et se met en position. "Allume la lumière au-dessus de l'évier et tourne-toi un peu plus vers moi."

"Comme ça ?" Il met le rasoir électrique contre le menton et regarde la fille qui s'est placée contre le cadre de la porte et se tient avec les pieds légèrement arqués et l'appareil devant le visage. Elle clique deux fois et les flammes se reflètent dans la glace et il clignote les yeux.

"Ne clignote pas les yeux." Dit Mjöll. "Rase aussi la joue qui est tournée vers moi."

Steinn racle un rectangle dans la mousse mais se coupe sans le sentir et une coulée de sang descend la joue. Alors elle fait la photo et il regarde dans la glace et éclate de rire et elle aussi. Il enlève le savon en se rinçant le visage et elle lui fait un baiser sur la blessure. Il prend une serviette et une huile solaire et les met dans le panier et puis il enfile des chaussures en cuir noir et une veste légère et attrape le chat sous le canapé et sort avec lui de l'appartement et va vers Mjöll qui attend sur le palier et ferme à clé derrière eux et enfonce la clé dans un pot de fleurs à côté de la porte.
 
 

8
 
 

Lorsqu'ils traversent la rue Steinn lâche le chat qui saute directement vers un fraisier chantant et commence à viser des bruants de neige et ne se retourne pas quand Mjöll appelle du pont.

"Boris ! Soit sage pendant notre absence et souviens-toi de ce que Steinn t'a dit. Saint-Pierre compte les petits oiseaux et te demandera des comptes si tu essayes d'entrer au Ciel des chats !"

Quelqu'un est toujours au milieu du pont.

"Tu te rappelles cet hiver au moment de la première neige et tu disais que c'était le ciel sur terre et que tout le monde était donc un peu saint à l'intérieur mais que les vêtements d'anges retomberaient des gens dès que la neige fondrait ?" Demande Steinn dès qu'ils arrivent sur l'autre rive.

"J'ai dit ça ? Je croyais que c'était toi le mystique et pas moi. Tout le monde est alors une sorte de dieu soleil avec ce temps ?" Mjöll répond et s'arrête à côté de la table des horaires des autobus et la scrute. "Le bus vient de passer et ne revient pas avant une demi-heure. T'as envie d'un café ? J'ai envie d'un café. Prenons un café !" Elle guette la route dans les deux sens et prend le bras de Steinn et ils courent en biais vers le café au carrefour.

Il n'y a pas de table libre sur le trottoir devant le "Café de Rêve" , ils entrent donc mais sur un balcon sept étages au-dessus un séminariste secoue un tapis aux losanges noirs et blancs et la poussière descend à côté de la maison et se pose invisible sur la mousse de lait dans les tasses des clients qui se cachent les oreilles avec mains quand deux motards accélèrent et s'élancent au loin.
 
 

9
 
 

"Je ne comprends pas comment tu peux boire du chocolat chaud avec cette chaleur. Le chocolat à la crocante a aussi quelque chose d'anormal. Un chocolat ne devrait pas être blanc." Dit Mjöll quand le serveur amène ce qu'ils ont commandé et elle boit une gorgée du café brûlant et hausse un sourcil dans la direction du serveur qui se retourne brusquement et part en courant et pousse un autre serveur du coude et pointe derrière lui et secoue la tête. "Tu sais comme je suis dégénéré. J'aime tout ce qui n'est pas comme ça devrait être. Des corneilles qui miaulent. Des montres qu'on peut manger. Des arbres rouges et des lunes en pleine journée." Steinn regarde Mjöll au-dessus du bord de la tasse.

Elle tend une main au-dessus de la table vers lui et essuie une trace blanche de sa lèvre supérieure avec l'index et allait dire quelque chose quand un homme d'origine nordique commence à se parler à lui-même à voix haute dans un des coins et regarde de temps en temps de côté dans un miroir qui avec d'autres miroirs couvre les murs de la hauteur de la taille jusqu'au plafond et s'esclaffe à chaque fois qu'il rencontre son image et ferme fortement les yeux et secoue la tête et continue à parler cette langue qu'il est seul à comprendre mais la conversation semble tourner autour de ses pieds puisqu'il les soulève de temps à autre et les regarde et quand il se prépare à enlever les chaussettes après avoir enlevé les chaussures un homme blond à l'air timide avec un nez rouge de la table à côté se lève et prend avec précaution un jeu d'échecs de poche qu'il avait fini de ranger à moitié et traverse en biais le café et le met sur la table à côté de Steinn et Mjöll. Il les regarde comme pour s'excuser quand il s'assied et commence à ranger les pions à nouveau mais prend un air embarrassé et cherche quelque chose dans toutes ses poches et regarde autour de lui l'air délaissé et envoie des regards tout autour de l'endroit où il était assis avant et sur les tables autour et regarde ensuite leur table sans savoir quoi dire mais ose enfin pointer sur une salière qui se trouve à côté d'un poivrier au milieu de la table.

"Vous avez besoin du sel ?" Demande Mjöll.

"Comment ?" Répond le joueur d'échecs comme dans un téléphone et les yeux s'égarent à travers les miroirs jusqu'à ce qu'il trouve un point qu'il arrive à fixer.

"Si ! Merci. Il semble que j'ai perdu la reine blanche. S'il vous plaît ?" Dit-il et tend la main ouverte et Mjöll y dépose la salière et il la referme vite et tire en même temps vers lui la main de la fille mais relâche ensuite la prise et sourit de façon idiote à Steinn qui baille.

"Mjöll ! Tu sais que dans une petite ville dans le nord il y a un café qui est encore plus petit que celui-ci mais qui est sans cela exactement pareil sauf que là-bas les miroirs sont hantés et des poètes morts depuis longtemps errent à travers le labyrinthe et s'y enfoncent plus à mesure qu'ils ont été morts plus longtemps et c'est donc fréquent que quand ils sont décédés depuis peu on peut les voir regardant au-dessus de l'épaule de ceux qui restent mais les gens ne se sont pas mis d'accord s'ils scrutent les tasses de café ou les carnets de notes pour trouver des citations d'eux-mêmes ?" Steinn finit son chocolat et se lèche les lèvres.

"Ca je peux croire !" Dit-elle. "Raconte encore."

"Et une fois un des poètes est même allé jusqu'à tâtonner avec une main à travers la glace et de perforer avec sa canne un gâteau Othello dont un petit-bourgeois vénérable - ça c'est passé dans une petite ville comme j'ai dit - était en train de découper un bon morceau avec sa fourchette en argent. Mais heureusement l'homme n'était pas un littéraire et ne connaissait pas le poète et s'est dépêché de l'aider à rentrer dans le miroir avant qu'il ne cause d'autres troubles car ne voyant pas bien comme dit l'histoire. Et voilà et voilà." Steinn se penche sur la table et laisse tomber les sourcils.

"Ah bon ?" Mjöll se penche aussi sur la table.

"Mais pourquoi je te raconte cette histoire ici et maintenant ?" Steinn la regarde l'air mystérieux. "Se pourrait-il que les glaces ici cachent aussi un mystère ?" Il place sa paume sur la joue de Mjöll et tourne sa tête de côté et pointe vers un endroit où les miroirs se rencontrent dans un coin et le garçon et la fille s'y reflètent et à cause de la fraction et de l'angle c'est comme si elle était assise de chaque côté de lui ou comme s'il était assis entre deux soeurs jumelles.

"Eh oui !" Dit-elle après un court silence. "Et maintenant je crois qu'il est temps pour nous d'aller prendre le bus. Tous les trois !" Elle compte des pièces de monnaie sur la table et quand ils se lèvent le joueur d'échecs détourne le regard et le nordique se tait et commence à remettre les chaussettes mais le serveur fait un signe de la main tout en balayant l'argent dans son tablier avec l'autre et regarde rapidement l'horloge au-dessus du bar quand elle sonne trois coups. Elle a une heure d'avance.
 
 

10
 
 

Une lumière s'alluma dans le couloir derrière les miroirs. L'ombre ferma la porte derrière eux. Steinn plaça sa paume sur la face arrière de couleur pourpre et sentit la troisième sonnerie mourir dans la glace. Il parcourut les joints avec un ongle à la recherche d'une fente et dans l'espoir de sentir de l'air chaud traverser. L'ombre enleva son chapeau et le déposa par terre plus loin dans le couloir et monta sur lui et ouvrit un placard haut dans le mur avec une longue clé. Le tic-tac faible dans le placard se tut quand l'ombre mit un doigt entre les roues dentées de l'horloge et arrêta sa marche le temps de tourner l'axe qui mena à la grande aiguille et la recula d'une heure mais la petite suivit. Il reprit le chapeau et l'essuya et se tourna vers le garçon. Steinn avait coincé l'ongle entre les miroirs et ne pouvait pas le détacher sans qu'il se déchira jusqu'à la racine. L'ombre prit fermement la main et elle se détacha.

Un parfum lourd de café fut suspendu dans l'air et s'alourdit au fur et à mesure qu'ils avancèrent et la lumière des lampes s'affaiblit et ne devint que des taches grandes comme la main aux murs couverts de bois noir et la poussière foncée par terre craqua. Steinn ne put pas s'empêcher de faire une halte et se pencher vers le bas et glissa le doigt sur le sol vers les murs où la poussière fut la plus épaisse et d'en ramasser sur le bout des doigts. Il tourna les grains entre les doigts.

"C'est du tabac à priser !" Dit l'ombre et Steinn arriva à retirer la langue avant que le bout de la langue ne touche le tabac. "Tu peux m'en donner un peu ?"

Steinn forma un tas de tabac par terre et ramassa et mit sur le dos de la main de l'ombre qui l'apporta à son nez et poussa un doigt sur la narine gauche et inspira avec la droite.

"Et pour la gauche aussi ?" L'ombre soupira et quelques larmes coulèrent sur la joue droite.

Steinn forma un autre tas pour l'ombre. Et l'ombre inspira avec la narine gauche. Elle éternua.

"Peut-être un tout petit peu encore ?" L'ombre sécha une larme à l'oeil gauche. Steinn glissa un doigt sur la plinthe du sol et poussa le tabac pour former une petite vague de tabac mais quand il voulut la prendre il sentit quelque chose à l'intérieur. L'ombre le regarda à la dérobée et poussa un soupir de soulagement. Steinn se redressa et tint le bout d'un fil fin qui parcourut le couloir et disparut à l'angle suivant. Steinn nettoya ses doigts sur le dos de la main de l'ombre et commença à peloter le fil. L'ombre jeta le tabac furtivement derrière elle.

"Le fil devint une pelote rouge dans les mains de Steinn et il marcha dans de longs couloirs et passa des angles des deux côtés. La pelote devint de plus en plus grande. Il devint important pour Steinn de garder le fil. Il lui sembla pour la première fois depuis son réveil que la vie était comme elle devrait être. Un fil ininterrompu dans ses propres mains. Comme la maquette d'une planète. Comme une pomme royale sans couronne ou une croix. Il était un révolté et défaisait un tapis rouge qui avait été placé là pour le détourner du chemin du parlement. Le tapis était fait de sang. De ce sang on avait filé un fil solide et du fil tissé un tapis. Et maintenant que le tapis fut défait il devint une pelote et la pelote devint une grenade et la grenade fut aux mains du révolté qui la tint comme si elle était son propre coeur. Mais quand il lui resta deux à trois mètres pour arriver au parlement elle éclata. Les rues furent inondées de sang mais au matin les larmes des habitants de la ville l'avaient lavé." La voix monotone augmenta au fur et à mesure que Steinn et l'ombre approchèrent de la porte. La pelote devint de plus en plus grande. Le fil passa sous la porte. Steinn défit un peu la pelote et recula d'un pas pour que l'ombre puisse l'ouvrir sans que la porte tire sur le fil.

"La voix monotone augmenta au fur et à mesure que Steinn et l'ombre approchèrent de la porte. La pelote devint de plus en plus grande. Le fil passa sous la porte. Steinn défit un peu la pelote et recula d'un pas pour que l'ombre puisse l'ouvrir sans que la porte tire sur le fil." L'homme derrière la porte se tut un instant quand elle s'ouvrit. Il était d'un âge mûr. Grand avec des traits fins et des cheveux gris coupés courts. Il portait une chemise et un pantalon de velours et un pull à mailles larges et des chaussures qui étaient bonnes pour les pieds. L'homme tint légèrement le fil et le bout effiloché était placé entre deux doigts comme un cigare dans la main d'un non fumeur. Il sourit. "L'homme derrière la porte se tut un instant quand elle s'ouvrit. Il était d'un âge mûr. Grand." Il mit la main devant la bouche mais continua à parler d'une voix étouffée un bon moment.

L'ombre poussa Steinn du coude et Steinn donna la pelote à l'homme. L'homme sortit dans le couloir vers eux et ils franchirent la porte. Il sourit derrière la main et voulut l'enlever de la bouche quand un frisson le parcourut et quelques phrases sortirent de lui et éclatèrent à travers la main. Il poussa la porte avec l'épaule et la claqua mais la rouvrit brusquement et chuchote ardemment à Steinn.

"Tu as remarqué que les fraises ont la forme d'un coeur ? La fraise est le symbole de l'homme révolté. Acide et sucrée et pleine de graines. Après la mort du révolté et l'humiliation dans tous les journaux et les discours des hommes politiques les gens ont trouvé un moyen pour honorer sa mémoire. Ils ont fait venir le meilleur glacier du pays et l'ont emmené dans la ville secrètement. Durant les années qui suivirent il développa une glace à la fraise à laquelle personne ne résista. La recette fut diffusée sous le manteau dans tout le pays. Dans chaque village et chaque ville de petites boutiques de glace ouvrirent et la fierté de chaque boutique fut la glace à la fraise. Et pour atteindre un maximum d'effet la glace fut vendue spécialement cher pour que personne ne puisse l'acheter sauf les ecclésiastiques et la noblesse et les hauts fonctionnaires et les policiers les mieux payés. Toute la journée ils avaient la langue dans la glace. Les gens firent semblant d'assaillir les boutiques et manifestèrent pour protester contre l'injustice. Rien ne fit plus plaisir aux mangeurs de glace et ils mangèrent et mangèrent avec encore plus d'appétit qu'avant. Mais comme tout le monde sait il n'est pas bien d'absorber trop de glace à la crème. Les mangeurs de glaces furent donc des habitués de parterres de fleurs et de cours arrières et de belles clairières ou sous des roches historiques dans des flancs de montagnes. Après ces visites poussèrent rapidement de la terre des fraisiers qui se multiplièrent eux-mêmes et portèrent d'innombrables fraises juteuses et grandes. Et ainsi de suite jusqu'à ce que la nouvelle organisation de la société remplace l'autre. Mais je n'y connais rien et tu interprètes sans doute cette histoire d'une toute autre façon que moi. Mais elle est tout de même vraie." Il regarda furtivement autour de lui. "La recette est à la page cinquante-huit !" Il referma la porte et Steinn et l'ombre l'entendirent partir à pas rapides en ronronnant.

L'ombre secoua la tête et soupira.

"Mais ça ne tient pas." Pensa Steinn. "Les fraises se multiplient par des verges!" Il décida de mieux y réfléchir plus tard.

Ils se trouvèrent dans une armoire ou une cellule. L'ombre tapa dans les murs et le plafond.

"Ivoire !" Il poussa les lunettes sur le nez.

Steinn tâtonna derrière lui. Le dos de l'armoire céda avec des cliquetis bas. Il se retourna et vit que l'armoire n'avait pas de dos. Juste une tenture de perles noires. Il fit signe à l'ombre. Tira la tenture de côté et passa à travers après l'ombre.
 
 

11
 
 

"Que Dieu vous bénisse !" Dit le chauffeur quand Steinn et Mjöll montent dans le bus et démarre en trompe en les jetant vers l'arrière du bus et ils tombent chacun dans un siège quand il prend un virage serré en descendant une rue pavée vers l'ancien quartier de la ville et sort de la ville en se secouant et en tremblant.

Le car qui dessert la plage est un bus à étage qui a depuis longtemps perdu toutes les vitres des fenêtres et que l'on a privé de l'étage supérieur et qui est maintenant sans toit.

"Il est à moi ! Je le fais marcher avec mes fils !" Crie le chauffeur à travers le roulement à un voyageur qui s'accroche à une barre à l'avant du bus et qui appuie avec un pied sur une caisse en bois trouée qui est calée contre les premiers sièges.

Le bus de la plage est peint soigneusement dans une couleur bleu ciel et de petits nuages blancs le parcourent et un arc-en-ciel passe par le sol sur toute la longueur et à côté des sièges se trouvent de splendides ailes qui donnent un air d'anges aux passagers.

"Non-non-non ! Il ne pleut jamais dedans. C'est un bus céleste. Le soleil se met à briller dès que je le sors du garage le matin. Toujours !" Il se retourne autant qu'il peut dans le siège sans perdre la prise du volant et sans baisser la vitesse. "Pas vrai ?" Demande-t-il à tous les passagers.

"Sisisi !" Crie tout le monde dans l'espoir de vivre un peu plus longtemps et reprennent leur souffle quand il se retourne vers l'avant et arrive à s'arrêter à un feu rouge.

"Remarque qu'il se tait toujours quand le bus ne roule pas." Dit Mjöll à Steinn. "Ou presque."

Le chauffeur se penche un peu mélancolique sur le volant et chantonne une sorte de chant de Noël.

Le voyageur se racle la gorge. "Vous n'allez pas un peu trop vite ? N'est pas ?" Demande-t-il au chauffeur qui ne le regarde même pas avant que le feu passe au vert et il accroît la vitesse progressivement jusqu'à ce que le bus file et il lève la voix en rapport avec la vitesse de la voiture.

"Vite ? Non-non-non ! Je conduis d'après le soleil. Je ne vais jamais plus vite que lui. Le soleil est mon compteur de vitesse. Et il est toujours au-dessus de ce bus parce qu'il est plus bleu que tout ce qui est bleu et pourtant une chose est plus bleue et c'est le ciel au-dessus de Tripolis une journée d'été. Je viens de là-bas ! De Tripolis en Arcadie en Grèce. Pas l'ancienne pourtant ! Tu comprends ?" Il pointe son coude rapidement vers le voyageur. "Eh ? Celui-là était grec. Mais moi. J'ai ramené ce bleu avec moi. Oui ! Moi ! Et comment j'aurais fait ça ? Comment ?" Il n'attends pas une réponse de l'autre. "Non ! Pas en esprit. En mémoire ? Mes rêves ? Non ! Et pas sur une photo ou un tableau. Comment alors ?" Il parle à tous les passagers. "Si ! Nulle part ailleurs qu'ici !" Et le chauffeur laisse le volant d'une main et pointe sur son oeil droit qui est véritablement bleu mais l'oeil gauche est marron et voilé de vert. Le voyageur scrute l'oeil et fait un signe de la tête aux autres passagers qui montrent un intérêt inégal pour la couleur de l'oeil du chauffeur mais retiennent tous leur souffle quand il se redresse à moitié dans le siège et regarde dans leur direction et appuie un doigt sur la joue en dessous de l'oeil et tire la peau vers le bas. "Regardez !"

"Qu'est-ce que c'est bleu !" Crie Steinn dans un désespoir feint et alors le chauffeur se rassieds.

"Ma mère me disait que c'était exactement la même couleur bleue. Non ! Il ne serait pas juste de dire ça. On ne peut pas. Elle disait que si quelque chose se rapprochait du bleu au-dessus de notre ville au milieu de l'été ce serait cette couleur bleue. Et je suis un bon fils. Et j'ai de bons fils. Et l'un d'entre eux a mes yeux." Il soupire profondément et se tait et ralentit quand il arrive sur la route nationale et le fleuve réapparaît mais il continue à ne pas s'intéresser à la route sur laquelle il conduit sauf qu'au lieu de regarder le voyageur il regarde le ciel comme s'il attend autre chose que du soleil ou de l'arc-en-ciel ou un nuage ou des anges.

Le voyageur essaye sans succès de tirer un mot du chauffeur et puis il s'occupe de la caisse en bois qu'il a maintenue à sa place et Mjöll remarque que quelque chose bouge à l'intérieur.

Steinn fait semblant de vouloir chuchoter quelque chose à Mjöll mais à la place il l'embrasse sur l'oreille et elle ne lui dit pas ce qu'elle a vu.
 
 

12
 
 

A l'endroit où le bus de plage prend le virage pour la route qui mène à la plage le fleuve retourne vers l'intérieur du pays et sur l'autre rive à côté du virage une femme d'un âge mûr est assise avec des cheveux noirs qui tombent dessous d'un chapeau d'homme tressé en paille mais sur le sommet se trouve un grand tournesol séché. Elle porte un pantalon blanc remonté au-dessus des genoux et une chemise en coton jaune avec les manches retroussées alors qu'une veste blanche est couchée sur l'herbe à côté d'un tonneau noir et porte des traces d'herbe verte sur les coudes comme sur les genoux du pantalon. Elle tient un filet en toile sur une longue tige en bambou dans une main et empêche le vent de tourner les pages d'un livre qui est ouvert sur ses genoux de l'autre et la tige est dressée comme une lance ou un drapeau mais elle ne la met pas dans le courant même si des poissons filent juste en dessous de la surface de l'eau en fendant la surface de lignes rapides ou quand des oiseaux s'asseyent sur l'eau et tournoient autour d'eux-mêmes contre le courant et plongent la tête sans cesse pour chercher de petits harengs et des coléoptères. Si un papillon s'égare dans le filet elle se lève et le détache avec précaution et se rassied et continue à attendre et lire et observer le fleuve.

"Voilà Madame Palomar !" Mjöll pointe à travers une fenêtre en même temps qu'ils approchent la route vers la plage. "Tu lui demandes de la klaxonner ?"

Steinn appelle le chauffeur qui appuie trois fois rapidement sur le klaxon. Mjöll se penche en dehors et salue Madame Palomar qui la salue également aussi longtemps qu'elles se voient.

Pendant que le bus descend les derniers kilomètres vers la plage un ballon de football descend le fleuve et Madame Palomar baisse la tige et il flotte noir et blanc et brillant dans le filet. Elle se lève et débarque le ballon et retourne le filet en le faisant rebondir sur l'herbe et elle le soulève et l'essuie avec la serviette noire et le met dans le tonneau avec deux autres de la même sorte.

Madame Palomar se rassied dans l'herbe et tient la tige comme une lance ou un drapeau pendant qu'elle lit et observe le fleuve. Le vent avait tourné quelques pages du livre pendant qu'elle rangeait le ballon mais elle continue de lire comme si ne rien était. Le livre est ainsi.
 
 

GLACE A LA FRAISE
 
 

Pour sept.
 

Un kilo de fraises mûres.

Deux cents vingt grammes de sucre.

Jus d'un demi citron.

Jus d'une demi orange.

Un décilitre et demi d'eau.

Un décilitre et demi de crème.

Pressez les fraises à travers un tamis fin. (Un kilo donne un peu plus d'un demi litre de compote.) Ajoutez le jus de citron et d'orange. Faites bouillir le sucre dans l'eau pendant cinq minutes. Laissez l'eau sucrée refroidir et versez-y le mélange de fraises. Fouettez la crème et ajoutez la. Congelez à une température aussi basse que possible pendant deux heures et demi ou trois heures.

Bon appétit !
 
 

13
 
 

Ils approchent de la plage. Du sable blanc cassé se soulève au-dessus du chemin et tournoie aux côtés du bus en voilant le bleu ciel autour des pneus alors que la poussière la plus fine entre par les fenêtres. La route disparaît.

"Elle est raccourcie de trois mètres par an." Dit le garçon et essuie un grain de sable sur la joue de la fille. "Ils ont retenu le sable pendant plusieurs années. Tu voies la cabane là-bas ?" Il pointe vers une petite cabane de travaux revêtue de tôle ondulée qui auparavant avait été noire avec des fenêtres rouges et un toit blanc. "La route allait jusqu'à là-bas. Puis le vieux qui l'avait balayé sans cesse tous ses étés est mort. Ils n'ont trouvé personne pour le remplacer."

"Qu'est-ce qui brille ?" Demande Mjöll.

"Où ?" Steinn fait de l'ombre à ses yeux et regarde.

"Là à côté des chaises longues !" Elle lui tend les lunettes de soleil et il les met. "Ce sont des palmiers ?"

"Je ne le vois pas." Il lui tend les lunettes.

"C'étaient des palmiers !" Elle regarde en arrière. "Des palmiers en aluminium. Quelque chose pour toi. Tu devrais peut-être postuler pour le poste du balayeur. Alors tu pourrais t'asseoir sous les palmiers en aluminium à l'heure du déjeuner et quand tu balaies je pourrai fabriquer des sabliers et vendre sur la plage !"

"Il y a assez de sable." Répond Steinn et plisse les yeux en direction de Mjöll. Ils sont assis du côté ensoleillé du bus.

Le chauffeur sort lentement du chemin et le bus glisse vers la plage et vu de loin c'est comme s'il flotte sur le mirage et glisse sur les côtés quand il contourne d'autres véhicules ou des gens qui vont et viennent. Il salue tout le monde avec un klaxon et crie sans cesse de chaque côté.

"Bonne vente aujourd'hui ? Qui t'as dit de changer pour des melons et des noix de coco ?" Pointe sur lui-même. Conduit.

"Qu'est-ce que tu as garçon ? Enlève ça vite fait et je te payerai un bon quand tu grandiras ! Ouioui ! Trois-céro ce soir ? Sinon je te dépose gratuitement toute la semaine prochaine ? D'accord ?" Tape sur le volant. Continue.

"Viens vite nous voir ! Et amène ta fille. Il y a un qui l'attend à la maison ! Non ? Non ? Donne-la alors à un clerc de bureau livide et tu verras vers où elle cherchera. Elle rougit ! Tu viens mardi ? Bien. Je leur dirai ! Elle a hâte de vous voir aussi ! Et lui de la rencontrer. J'arrête mon char ? Au revoir !" Envoie un baiser des doigts à Madame ou à la fille et arrête le bus pour le mettre en marche arrière et se gare dans une place de parking invisible dans un terminus imaginaire et murmure à lui-même. "Dégagez ! Dégagez ! Vous croyez que c'est un terrain de jeux. Ah bon ? D'accord. Jouez alors. C'est ce que je ferai à votre place." Il sourit aux enfants autour du bus qui tiennent les bras devant eux comme sur un volant et marchent en arrière dans une queue irrégulière et font des bruits de voitures.

Le bus de plage est arrêté. Le chauffeur ne répond pas au salut de Steinn et Mjöll quand ils descendent du bus mais suit le voyageur avec la caisse en bois trouée derrière le bus. Ils prennent quelques pas en direction de la plage mais se retournent quand ils l'entendent crier quelque chose et voient une colombe sortir du seul nuage du ciel qui n'est pas aussi bleu que le bus et la colombe se dirige directement vers le voyageur qui tend la main et elle s'assied sur son bras et il la caresse et les enfants se groupent autour de lui et il met la main dans sa poche et sort une poignée de farine de maïs et lui donne. Il permet aux enfants de la tenir et la nourrir mais il fait un signe de la tête au chauffeur qui soulève le couvercle de la caisse en bois de laquelle s'envole une autre colombe qui fait un grand cercle autour du groupe et puis un autre plus grand au-dessus de la côte et de l'océan et un troisième haut dans le ciel mais se dirige ensuite vers l'intérieur de la terre et ceux qui l'observent tapent des mains et les applaudissements se confondent avec le son des ailes pendant que l'on la distingue.

"Ensuite elle sera au terminus quand ils reviennent en ville."

Le garçon et la fille continuent vers la plage.
 
 

14
 
 

La pièce ne fut pas grande et le velours rouge qui couvrit les murs et le sol la rendit encore plus petite. Une ampoule bleue fut suspendue au plafond et éclaira le bureau et un homme maigre qui était assis sur un tabouret haut. Il avait tiré les pieds sous lui et joint les mains autour des jambes. La tête ébouriffée reposa sur les genoux. Il dormit. Des applaudissements s'éloignèrent dans une salle derrière une tenture épaisse derrière lui. Il montra les dents et se réveilla en sursautant.

L'ombre et le garçon furent à côté du bureau quand ils virent que l'homme était un grand singe mis sur son trente et un. La queue zébrée descendit dans la jambe gauche du pantalon et se courba autour du gant en cuir brillant au pied. Il écarquilla les yeux et tapa avec le doigt sur une plaquette sur la table.

"Quinze par personne ?" L'ombre tint une petite bourse. Le singe hocha la tête et l'ombre compta l'argent et plaça dans sa main. "Ils ont apparemment changé ici." Dit-il au garçon du coin de la bouche.

Le singe bondit debout et accrocha la main à une barre en cuivre qui monta du sol et s'agrippa mais se haussa sur la queue avec l'autre en étant allongé horizontalement à partir de la barre. Comme un drapeau national. Alors il lâcha prise et atterrit sur la table et tendit de nouveau la main et tapa sur une autre plaquette.

"T'as quelque chose pour lui ?" L'ombre regarda Steinn. "Ca ne peut pas être n'importe quoi." Il fit une grimace au singe qui grimaça à son tour.

Steinn chercha dans toutes ses poches mais ne trouva rien à part un petit galet. Il donna le galet à l'ombre qui le tendit au singe. Le singe mordit le galet et l'enfonça ensuite dans son anus. Il descendit en tournoyant du siège et laissa entrer l'ombre et le garçon derrière un rideau blanc.

Ils se trouvèrent dans un café ordinaire. Au milieu de la salle se trouva une scène circulaire et rehaussée. Les serveuses entrèrent et sortirent rapidement par une porte à battants et passèrent parmi les tables et notèrent des commandes de clients qui prirent leur temps pour choisir d'une longue liste mais obtinrent tous la même chose. Des verres bas pleins jusqu'au rebord d'un vin bleu noirâtre. Sur la scène il y eut des traces du dernier numéro. Quelques plumes et des cartouches de balles.

Le garçon et l'ombre prirent place à une table ronde sous une fenêtre près de la porte d'entrée.

"Nous sommes rentrés par derrière !" Pensa Steinn et rangea inconsciemment tout ce qui se trouva sur la table en un motif symétrique. L'ombre tapa avec les doigts sur la table. Dans la fenêtre derrière lui se trouva un signe lumineux avec le nom de l'endroit. Un tube néon rouge ondula sur un fond bleu et l'écriture calligraphiée forma le mot "Le Noctambule !" et l'éclairage fit de la vitre un miroir. Mais l'ombre ne fut pas reflétée par la vitre. Elle absorba la lumière et ne projeta pas une ombre sur la table mais une image faible en couleurs comme un projecteur de diapositives.

"Regarde en bas !" Dit-il au garçon et se pencha en avant pour que l'image ne se coupa pas sur le visage sur le bord de la table et la tête fut entière dans la surface gris plomb du plateau.

Steinn se pencha sur la table et vit l'ombre enlever le chapeau et essuyer le crâne avec l'oreiller. Les cheveux avaient poussé d'un millimètre depuis la nuit et étaient comme du sable sur le sommet blanc de la tête. Steinn ne put distinguer aucun signe particulier dans les traits du visage mais quand l'ombre monta les lunettes sombres sur le front Steinn eut l'impression qu'il n'avait pas de paupières et que les yeux étaient curieusement petits et manquaient d'iris et de blanc.

"Touche !" L'ombre pointa sur sa tête. "Comme des écailles ?" Et attendit. "Touche !"

Steinn mit sa main sur sa tête et laissa sa main glisser sur elle et vers la nuque et sentit quelque chose qui ressembla à une nageoire dure. L'ombre tressaillit.

"Tu ne trouves pas que c'est comme une nageoire ?" Il sourit d'une manière sarcastique à Steinn et dénuda ses petites dents. "Je suis un requin !" Il happa en l'air.

Un homme et une femme assis à la table d'à côté levèrent la tête et les regardèrent mais continuèrent ensuite leur conversation.

"On ne peut jamais rien faire !" L'ombre poussa le pied derrière la chaise sur laquelle il fut assis et marcha sur le cordon électrique du signe lumineux et l'éteignit et l'image disparut du plateau de la table.

"Ca arrive tout le temps !" La serveuse était arrivée à la table sans qu'ils ne la remarquent. Elle fit un clin d'oeil à l'ombre. "Tu sais que je ne peux pas le servir !" Elle pointa un ongle blanc vers Steinn.

"Nous sommes pressés, n'est-ce pas ? Demanda l'ombre à Steinn qui hocha la tête et se prépara à se lever mais l'ombre lui fit signe d'attendre. "Tu pourrais le remplir ?" Il lui tendit le flasque en argent.

"La même chose que d'habitude ?"

Ils attendirent et écoutèrent les gens à la table voisine.

"Et qu'est-ce que tu vas faire avec un âne ?"

"Je vais être gentille avec lui."

"Gentille avec lui ?"

"Oui ! L'amener en promenade et lui donner des roses à manger et le laisser me porter s'il le veut."

"Tu ne me donnes pas de roses."

"Et je vais le regarder dans les yeux !"

"Tu ne me donnes pas de roses."

"Ils ont de si beaux yeux."

"Tu ne me donnes pas de roses !"

"De grands yeux en forme d'amande !"

"Tu ne me donnes pas de roses !"

"Tu es si difficile sur la nourriture."

"Ils sont toujours comme ça !" La serveuse déposa le flasque sur la table à côté de l'ombre et du garçon. L'ombre sortit la petite bourse et compta trois petites pièces. La serveuse les glissa vers le bord de la table et les laissa tomber dans la poche de son tablier. Elle resta à côté de la table et regarda le garçon. L'ombre lui tendit une pièce encore. Elle ne la prit pas. Elle ne partit pas.

"Tout va bien ?" L'ombre se leva et Steinn le suivit. "Nous allons partir !" La serveuse hésita et se pencha ensuite et chuchota à l'ombre.

"Elle dit qu'il y a une femme dans la cuisine qui veut te parler." Dit-il à Steinn et leva un sourcil.

Ils la suivirent par la porte aux battants et traversèrent la cuisine vers une chambrette où une jeune femme fut assise sur un tabouret bas et tailla des plumes de corbeau. Coupa la barbe des tiges et les arrangea en faisant de courtes pailles comme celles qui se trouvaient dans les verres des clients dans la salle. Elle leva les yeux et ses yeux trouvèrent les yeux de Steinn et elle se leva et marcha hésitante vers lui.

"Elle est belle ! Pensa Steinn et la regarda marcher vers lui. "Elle me connaît."

"Tu ne me connais pas." Elle parla à voix basse et lentement. "Il ne me connaît pas." Dit-elle à l'ombre et à la serveuse. "Laissez-nous seuls."

La serveuse prit un plateau avec des pailles de la table et sortit vite par la cuisine.

"Tu te rappelles ce qu'on peut et ce qu'on ne peut pas ?" L'ombre rabattit la porte mais laissa une ouverture large comme une main. "Je suis là s'il y a quelque chose."

La jeune femme se tint devant Steinn. Elle prit ses épaules et monta sur ses orteils et approcha son visage du sien. "Je t'ai observé. Je sais qui tu es et comment tu t'appelles."

Steinn la regarda. Elle était plus jeune qu'elle n'en avait l'air. Ce qui lui avait paru être un bleu sur le bras gauche ne fut pas un bleu mais un bout de sein. Elle avait un petit grain de beauté sur la joue. Pas plus grand qu'un grain de sable.

"Mjöll !" Il forma son nom avec les lèvres.

"Pas de noms !" Elle plaça le doigt sur la bouche du garçon. "Nous n'utilisons pas de noms ici." Et baissa la voix pour que l'ombre ne l'entendit pas. "Mon cher petit. Je suis ta mère ! Tu es mon garçon." Elle le serra dans ses bras.

Steinn sentit le rire monter en lui comme la main d'un enfant mais quand il allait éclater de rire elle se serra en un poing et resta coincée dans sa gorge en faillant l'étouffer. Un instant sa vue se troubla. Et il se sentit bien.

"Maintenant il faut que tu partes." La jeune femme le serra encore une fois et le lâcha et l'emmena vers la porte et l'ouvrit. "Maintenant il faut que tu partes." Elle lâcha le garçon et il marcha vers l'ombre.

"La mienne a fait comme ça aussi." Dit l'ombre et clignota un oeil vers elle. Elle lui sourit et un frémissement parcourut son menton.

Steinn lui tourna le dos et baissa la tête.

La jeune femme chercha dans la poche d'un tablier et trouva quelque chose. Elle prit la main du garçon et plaça l'objet dans sa paume et il retira la main sans se retourner. Elle entra dans la chambrette et refermât la porte.

Steinn donna à l'ombre ce que la jeune femme sui avait donné. "Qu'est-ce que nous avons ici ?" Il tint la reine noire entre les doigts. "Quelle coïncidence amusante !" Il sortit la boîte tapissée de blanc et plaça la reine dans une fente à côté du raisin sec. "C'est comme si elle était faite pour elle !"
 
 

15
 
 

Sur la plage. Ils sont debout côte à côte et tiennent chacun sa serviette et les jettent en même temps en les faisant tomber sans bruit sur le sable.

Steinn s'allonge et enlève sa veste et chaussures et chemise et chaussettes mais Mjöll va sur la pointe des pieds sur le sable brûlant vers les cabines qui sont placées en haut de la plage et forment un rempart clairsemé sur toute sa longueur. Avec une intervalle régulière se trouvent des tentes de marchands avec de la glace et du vin mousseux et de minuscules seiches frites et du jus de fruits et de la pâtisserie. Et un flot incessant d'adultes et d'enfants et d'enfants adultes sont entre les cabines et les tentes et les chaises longues et les parasols et ceux qui ont la paresse de bouger achètent la marchandise des garçons qui vont et qui viennent sur la plage avec des plateaux en bois en sifflant les filles quand elles rentrent furtivement dans la mer en contournant quelqu'un qui dort sur un matelas gonflable dans le rivage et nagent avec des gamins barbotants avec des bouées en forme d'oiseaux en vol et puis elles en sortent rapidement et rincent le sel de leurs corps sous des douches froides mais les fiancés jettent entre eux un ballon gonflable et envoient un regard méchant aux garçons qui haussent les épaules et continuent leur chemin en criant. L'un d'entre eux se détache sur la mer et un petit voilier avec des voiles blanches navigue sur sa tête quand il dépasse Steinn qui est allongé sur de dos et croise les jambes et joint les mains sur le ventre et penche la tête en arrière et voit donc Mjöll venir vers lui à l'envers. Elle est toujours à l'envers quand elle dépose le panier avec les vêtements sur le sable et sort de ses sandales pour monter sur la serviette et commence à s'enduire d'huile solaire.

"T'as apparemment décidé de bien bronzer sur le larynx !" Elle se couche sur le ventre et tend l'huile à Steinn.

Il se tourne sur le côté et le monde tourne avec lui. Il détache la bande du soutien-gorge et verse rapidement du flacon sur le dos de Mjöll qui tressaille légèrement mais ferme ensuite les yeux en souriant et il étale l'huile avec les paumes des mains et laisse deux doigts monter le dos en courant quand il a fini et s'arrête au milieu du cou sur un grain de beauté qui est situé entre deux autres de la même taille espacés de façon régulière comme les points de suspension d'un livre. Et il commence à compter les grains de beauté sur son dos et bras et jambes et côtés. Mjöll s'est endormie. Il les compte tous et appuie le bout d'un doigt sur chacun pour confirmer. Il arrête et recommence. Mjöll dort et endormie elle met une main dans le sable chaud au-dessus de sa tête.

"Trente-deux !" Steinn se lève. "Trente-deux." Il court après un garçon vendeur et achète une bouteille de vin mousseux frais et de la pâtisserie. "Trente-deux !"

"Comment ?" Le garçon interroge Steinn du regard qui l'interroge à son tour et arrête un instant de compter de l'argent de la poche droite de son pantalon.

"Oui. Non. Je parlais à moi-même." Et fait un signe de la tête en arrière où Mjöll est allongée et a enfoncé la main plus encore dans le sable. Le garçon siffle et fait un clin d'oeil à Steinn qui ne le remarque pas et finit de payer le vin et les gâteaux.

Mjöll se réveille quand le bouchon fait un bruit sec en sortant de la bouteille. Il vole à travers l'air et tombe dans le sable à côté d'une petite fille qui est occupée à transformer un portefeuille et son contenu en une montre solaire mais prend le temps de jeter le bouchon dans le rivage et les vagues l'attrapent. L'homme sur le matelas gonflable se dirige vers le large.

Steinn soulève la bouteille. "C'est l'heure du goûter !" Il sort deux verres du panier. "T'as trente-deux grains de beauté sur le dos et les jambes et les bras. T'es à pois."

"Alors cette partie du monde a été explorée." Mjöll étale les doigts dans le sable et sent quelque chose de dur avec le bout de l'index et creuse pour l'atteindre.

Steinn verse dans les verres et tend un à Mjöll.

"T'es immobilisée dans le sable ? Quelque chose t'a attrapé ?"

Elle attrape quelque chose et le tire vers elle et sort du sable. L'essuie ainsi que sa main.

"Qu'est-ce que t'as trouvé ?"

Elle tient un cheval en plastique rose. Un cheval à l'aspect carré avec du sable dans la crinière et la queue qui est posé sur ses pattes arrière comme s'il galopait.

"C'est un cheval." Elle répond et prend le verre et verse du vin mousseux doucement sur le cheval et le rince et le tend à Steinn. Mjöll mord dans la pâtisserie et boit une gorgée du vin.

"Regarde comme son museau est usé ?" Steinn parcourt le museau avec un doigt.

"C'est lourd de courir dans le sable !"

Mjöll descend vers la mer mais Steinn s'allonge et met les lunettes de soleil et s'amuse à laisser le cheval rose courir dans le ciel et obscurcir le soleil. Mjöll nage.
 
 

16
 
 

"Marchons vers les falaises !" Mjöll est dans la cabine en train de se changer. "Puis nous mangerons un bout au retour ?"

Steinn est dehors et l'épie à travers une fente de la toile rayée qui est tendue sur la structure en bois qui forme la cabine.

"Qu'est-ce que t'en penses ? Et arrête de m'épier espèce de coquin ! Les gens pourraient penser que tu épies une personne totalement inconnue et t'envoyer le garde." Mjöll se retourne et fait une grimace enfantine à Steinn. "Qu'est-ce que tu dis ? T'as déjà faim ?" Elle se déhanche dans sa direction.

"Non ? Non. Bien !" Steinn remet l'oeil à la fente mais Mjöll n'y est plus. Elle est juste derrière lui et l'attrape fortement à la taille en le faisant sursauter.

"Tiens ça." Elle lui tend le panier.

Ils marchent en longeant la plage.

Ils laissent les parasols qui deviennent des paralunes quand un vieil homme les ferme les uns après les autres et ils laissent les garçons qui se sont attablés devant le restaurant "Le Dormeur" où les bougies s'allument les unes après les autres et s'éteignent les unes après les autres car un des garçons suit la seconde fille du maître d'hôtel et les souffle dès qu'elle les allume.

Il ne fait pas encore nuit.

Mjöll prend la main de Steinn.

"Il était une fois un vieil homme qui eut pour travail de fermer les parasols sur une plage au sud d'une vielle ville. Sur la plage il y eut un restaurant. Et chaque soir après le travail le vieillard s'y assis à une table isolée. But du vin de muscat et regarda la seconde fille du maître d'hôtel."

"Continue ?"
 
 

17
 
 

Devant eux se dressent les falaises.

"Comme des baleines blanches dans un océan blanc qui embrasse tous les continents."

Entre les falaises il y a une crique peu profonde.

Le garçon et la fille s'arrêtent dans le rivage sous la première falaise. Une autre falaise se trouve au fond de la crique. La troisième à son ouverture de l'autre côté.

Ils avancent main dans la main dans la crique. Un gravier de pierres polies de la taille de boules de neige vient après le sable. La plage est noire et scintillante.

La mer mousse sur une bande de terre qui ferme la crique.

Steinn regarde Mjöll. Mjöll regarde Steinn.

Les falaises renvoient le murmure des vagues. Les vagues adoucissent le reflet des falaises.
 
 

18
 
 

Ils arrivèrent à un haut mur qui ferma un jardin profond derrière trois immeubles. Steinn poussa l'ombre légèrement du coude et l'ombre se pencha en avant et joignit les mains et Steinn monta dessus et l'ombre le souleva pour qu'il puisse avoir prise au bord et s'élever au-dessus. Il regarda dans la cour. Les flaques d'huile sur le goudron reflétèrent les immeubles et les immeubles inhalèrent l'odeur d'huile. Une obscurité tremblante et une lumière tremblante dans toutes les fenêtres. Les systèmes de ventilation ronronnèrent. Un vent chaud glissa sans bruit le long des murs. Une femme blonde était debout dans l'embrasure d'une porte avec les mains habillées de gants fourrés et attendit. Elle était fermée dehors. Dans l'embrasure d'une porte de l'immeuble en face un homme brun était debout et attendit avec les mains dans les poches d'un imperméable incolore. Il n'entra pas même si la porte fut ouverte.

Steinn se laissa descendre le mur de l'autre côté où l'ombre le reçut.

"Oui ! Regarde ces deux-là ! Elle a attendu et attendu mais elle sait que l'oiseau qui plane avec son long cou et ses grandes ailes au-dessus du quartier peut attendre plus longtemps qu'elle et a assez de patience. Chaque fois qu'elle avance un orteil et se prépare à traverser le jardin en courant il baisse le vol et sort les griffes jaunes." Steinn se réjouit. Il avait déjà entendu l'histoire. L'ombre continua. "Et il attend là pétrifié qu'une araignée enceinte termine sa marche sur les carreaux gris du couloir et disparaisse sous la porte de la buanderie. Mais elle sait qu'il est là et reste immobile et attend qu'il parte. Chaque fois qu'il bouge elle recule d'un pas minuscule vers lui. Dans peu de temps elle va accoucher et alors d'innombrables petites araignées sortent du sac qu'elle porte et il n'a pas envie de voir ça !" L'ombre se tint le ventre en riant et Steinn eut les larmes aux yeux. "Mais il reste le meilleur ! De temps en temps il regarde derrière lui à travers le jardin et il lui semble qu'il voit quelque chose de petit et de rapide sortir de l'obscurité de l'embrasure et entrer de nouveau. Elle par contre est certaine qu'il est un oiseau géant incolore qui reste immobile dans la porte et l'observe avec des mouvements de menton subits et avides." Steinn était devenu enivré de rire et il prit les épaules de l'ombre qui lui tendit une grappe de ballons noirs et puis ils esquissèrent des pas de danse à travers le jardin. Et l'ombre siffla. "Frère Jacques !" Encore et encore.

"Ding deng dong ! Ding deng dong !" Steinn ne se rappela pas autre chose du poème mais sentit qu'il pouvait parler et chanter et chuchoter et crier. "Ding deng dong ! Ding deng dong ! Ding deng dong !" Il cria et chanta.

Un magicien sortit sur un balcon au premier étage avec une tranche de pain dans la main gauche et un couteau de beurre couvert de confiture de fraises dans l'autre. Il pointa avec le couteau dans la nuit et hurla. "Salauds ! Quand j'allais enfin réussir !" Le magicien agita la tranche de pain à moitié couverte et entra et claqua la porte derrière lui. A l'étage au-dessus une femme trempée resta à la fenêtre et essuya des statues de bronze.

"Alors t'as retrouvé la parole ?" Dit l'ombre à Steinn là où ils restèrent sous un balcon au fond du jardin et se firent discrets. "Je commençais à m'inquiéter que nous n'étions pas sur le bon chemin !" Il tendit les oreilles.

Une voiture s'arrêta de l'autre côté du mur du jardin et quelqu'un sortit et posa une échelle contre le mur.

L'ombre se mit devant le garçon et étendit sa cape et le couvrit.

Quelqu'un apparut au bord du mur et alluma un projecteur puissant et parcourut le jardin avec. La femme aux gants fourrés se pressa contre la porte mais celui avec le projecteur la trouva et l'encadra dans un point lumineux circulaire. Elle mit la main un instant au-dessus des yeux mais partit en courant et le faisceau la suivit à travers le jardin vers la porte où était l'incolore et elle se jeta sur lui et il fut projeté à l'intérieur de la porte et elle suivit et la porte se referma avec un bruit violent et étouffa son cri de détresse.

"T'aurais dû voir ça !" L'ombre grinça.

La lumière parcourut le jardin et les immeubles jusqu'à ce qu'une fenêtre au sixième étage fut ouvert et une patte velue jeta des bouteilles vides dans la direction du mur. La lumière s'éteignit et quelqu'un disparut du bord et enleva l'échelle du mur et monta dans la voiture et ferma la portière et s'en alla.

"Et maintenant ?" L'ombre laissa la cape tomber et regarda Steinn. Steinn lui fit signe de venir avec lui et ils marchèrent vers la porte de l'immeuble et Steinn appuya sur tous les boutons de l'interphone en même temps. Plusieurs voix crièrent en même temps et finalement quelqu'un ouvrit la porte et ils entrèrent. L'ombre suivit Steinn dans un escalier et à travers un couloir court vers une autre porte.

"L'aiguille de chapeau ?" Chuchota Steinn. L'ombre glissa un doigt dans le ruban du chapeau et attrapa l'aiguille et la donna au garçon qui ouvrit la porte et glissa l'aiguille sous le paillasson par terre devant elle. Les immeubles étaient sans fenêtres de ce côté et quand ils eurent marché trois mètres et regardèrent en arrière ils avaient disparu.
 
 

19
 
 

Un sifflement coupe le silence. Et un bruit d'eau.

Le garçon et la fille lèvent les yeux.

A une courte distance de la plage flotte un instant un maquereau mort avant de couler et il laisse des vagues circulaires qui meurent rapidement.

"C'était bizarre !" Dit-il.

"Pourquoi ?" Demande-t-elle.

"On avait travaillé le poisson !"

Ils attendent.

Une truite scintillante est projetée d'une roche à l'intérieur de la crique et vole dans un mouvement circulaire et tombe avec du barbotage dans la mer et tourne le ventre ouvert vers le haut et coule.

"Il était vidé."

"Et il volait !"

Ils se dépêchent vers le rocher et se baissent instinctivement quand une sole vole à travers l'air au-dessus de leurs têtes. La fente entre le rocher et le mur de la falaise est trop étroite pour que l'on puisse y entrer, ils enlèvent donc les chaussures et les chaussettes et il replie son pantalon et elle tient le bas de la robe. Ils marchent dans la mer pour contourner le rocher.

Sur le rivage de l'autre côté il y a un homme petit de taille qui porte une veste de soirée chère blanche comme du lait et une chemise noire comme du poivre avec le col raidi et la poitrine plissée et un bermuda de ski de mer rouge comme du bar avec des motifs bleu myrtille et des baskets jaune citron qui montent sur les mollets. Il a la tête rasée à l'exception d'une mèche qui tombe frisée sur le front comme d'une bombe chantilly et touche des lunettes de soleil de la forme d'un oeuf sur un nez imposant qu'il retrousse en même temps qu'il pince les lèvres. Autour du cou est noué soigneusement un noeud papillon de soie naturelle. A ses pieds se trouve une bassine en plastique clair pleine de poissons de toutes sortes. Devant lui il y a un lance-pierres imposant en bois foncé qui a été enfoncé dans le sable et calé avec des pierres.

"Tu vois qui c'est ?" Mjöll pince Steinn.

L'homme ne les remarque pas et regarde pensif dans la bassine.

"Ca lui ressemble en tout cas."

L'homme se penche en avant et prend un grand hareng et regarde sous tous les angles avant de le placer dans l'élastique. Il hésite et regarde la crique et voit le garçon et la fille et leur fait signe de la main de s'éloigner. Ils montent sur la plage et marchent dans le sable non loin de lui. Il tend l'élastique et tire avec le hareng et le regarde de façon concentrée jusqu'à ce qu'il coule. Alors il frotte les mains couvertes de cailles et regarde la bassine.

"C'est lui !" Dit Mjöll. "On lui parle ?" Elle prend doucement le bras de Steinn.

"Tu lui parles. Je ne sais pas parler avec des hommes comme ça." Il répond et regarde le haut de la falaise.

L'homme regarde à travers Steinn et Mjöll et continue à jeter des poissons dans la mer. Un poisson de paradis. Anguille. Banc d'anchois. Flétan. Et églefin.

"Nous nous verrons sur la falaise !"

Mjöll marche vers l'homme. L'homme ne fait pas attention à elle. Steinn avance pas à pas sur le sentier qui monte dans la falaise.

"Allô !" Mjöll lance à l'homme qui ne répond pas. Elle regarde où est Steinn. Il est presque arrivé.

"Je fais ça pour mon ami." Dit l'homme tout d'un coup à la fille et lui tend une raie. "Tu comprends ?" Il n'attend pas la réponse.

Du bord de la falaise Steinn regarde Mjöll aider l'homme à tenir la raie dans l'élastique et puis elle prend le même chemin que les autres.
 
 

20
 
 

Au milieu de la falaise Steinn est assis sous un arbre qui est le seul arbre sur la falaise et l'arbre est appuyé contre Steinn. Il est absorbé par le livre que Mjöll lui a donné plus tôt dans la journée. L'arbre est noir corbeau et les branches tordues portent des feuilles épaisses et des noix avec des aiguilles piquantes sur des coquilles dures qui entourent des noyaux tendres. L'arbre ressemble à un oiseau ébouriffé avec de longues pattes. Steinn feuillette le livre. Autour de lui et l'arbre il y a tout ce que l'arbre a perdu. Des branches sèches et des feuilles fanées et des noix ouvertes brillent. L'arbre ressemble à un oiseau qui sommeille sur une jambe sur le dos d'une baleine qui flotte dans un fjord calme.

Le ciel s'approfondit. Le soleil touche l'horizon. Les falaises sont bariolées de rouge. Toutes les ombres s'allongent.

L'ombre de Steinn et l'ombre de l'arbre avancent doucement ensemble vers un petit lac peu profond. Au fond du lac et aux bords et dans des étendues de terre sableuse par ci et par là de la falaise poussent des plantes d'un vert profond qui n'appartiennent ni à la terre ni à la mer. Elles portent des fleurs bleues. Elles semblent plus grandes dans l'eau claire du petit lac. Maintenant elles sont ombragées. Steinn ne lève pas les yeux du livre. Il se passe sous la mer. Là-bas il n'y a pas de soleil. Il continue la lecture. Le petit lac est l'ouverture de souffle de la baleine. Les plantes sont les algues qui s'accrochent à elle. La baleine souffle et plonge en ne laissant rien que les algues déracinées. Et Steinn.
 
 

21
 
 

Steinn fut assis en l'air et les algues tournèrent autour de lui comme des lunes autour d'une planète. Il fut enveloppé d'une lumière faible. Sur le sable sous lui fut allongée une étoile de mer rouge. Et au-dessus de lui un hameçon scintillant descendit dans la sphère. Steinn leva les yeux du livre et sourit avec un air un peu endormi à l'ombre qui resta debout à trois mètres de la sphère et polit un revolver avec un chiffon déchiré d'une robe blanche.

"Tu veux que je lise pour toi ?" Steinn baillât et feuilleta le livre dans les deux sens. L'ombre hocha la tête et s'assit avec les jambes croisées et continua à polir le revolver. "Le poisson-poumon sans bouche !" Steinn lut d'une voix mince et la voix fut fourchue en plusieurs et les mots se déchirèrent donc ou ne se distinguèrent plus les uns des autres mais l'ombre n'y accorda pas d'importance. "Il est comme un poisson-poumon ordinaire sauf qu'un duvet fin couvre le corps et il y a des ailes à la place des nageoires de tête et une queue d'oiseau à la place de la queue de poisson. La tête est convexe et les yeux inhabituellement petits. Et à la place de la bouche il y a jusqu'à vingt-trois becs comme sur des colibris." Le hameçon descendit plus profondément dans la sphère et nagea en avant et en arrière et vers le haut et vers le bas avec des mouvements rapides et saccagés comme un hippocampe et effleura la lèvre inférieure de Steinn qui l'éloigna avec la main. "Le soir le poisson-poumon sans bouche grimpe de la rivière à la recherche de miel. Il grimpe sur des tiges de fleurs et enfonce la tête dans des bouquets de fleurs riches en miel et suce avec tous les becs. Le poisson-poumon sans bouche a deux sexes. Les hormones masculins viennent du poisson-poumon mais les hormones féminins du colibri. Le poisson fait un nid au fond de la rivière et pond seulement trois oeufs pendant l'été mais pas d'innombrables comme la plupart des poissons. Le poisson-poumon sans bouche abandonne ses rejetons dès qu'ils sortent des oeufs. Son chant est extraordinaire." Steinn ferma le livre. "Qu'en penses-tu ?"

"Plutôt enfantin je dois dire !" L'ombre se leva. "Par rapport aux règnes minéral, végétal et animal que nous connaissons dans la réalité !" Il suça une dent. "Si tu vois ce que je veux dire ?" Et siffla tout bas.

Steinn ne comprit pas ce qu'il voulait dire mais quand il voulut demander des explications à l'ombre le hameçon s'accrocha à la quille du livre et quelqu'un tira avec force. Steinn tira de son côté trois fois avant de lâcher prise et le livre sortit rapidement de la sphère et disparut. Il s'étira et frotta les yeux et descendit doucement sur le sable mais la sphère diminua et l'étoile de mer s'enterra et disparut.

"Tu dormais !" L'ombre ouvrit la cape et la veste et pêcha deux balles de pistolet d'un étui sur la ceinture. Il plaça l'une dans le revolver mais tendit l'autre à Steinn. "Tu la dévisses ?" Demande-t-il et vissa un silencieux sur le bout du revolver. Il visa le ciel et tira. Un petit soleil gris s'alluma avec un bruit faible. Pas un soleil fort. Un soleil gris et froid. Mais assez fort pour le garçon. L'ombre souffla sur le canon et fit tourner le revolver sur l'index et l'enfonça ensuite dans l'étui sur la ceinture. Il appuya de sa main sur l'épaule de Steinn et enleva une des bottes et ouvrit le talon et en pêcha une enveloppe pliée et remit la botte. "Tu n'auras pas ça n'importe où !" Il déchira un coin de l'enveloppe et versa le contenu dans la partie supérieure de la charge que tint le garçon. "Revisse-la !" Il ressortit le pistolet. Steinn lui tendit la charge et il chargea le pistolet et tira dans le ciel comme avant. Sauf que quand on entendit le coup de feu il n'y eut pas de soleil mais le contenu de la balle tomba par terre comme une bruine dans la lumière grise. Après un instant le sable commença à devenir vert. De solides tiges de fleurs s'élancèrent vers le soleil et poussèrent vite et les feuilles tranchantes se touchèrent et se courbèrent. "Des lys de sabre !" Chuchota l'ombre à travers le brouhaha. Et quand les tiges arrivèrent juste en dessous du soleil les fleurs s'ouvrirent. Bleues royal et jaunes. Jaunes et bleues royal. Le garçon et l'ombre regardèrent dans une forêt profonde de lys de sabre. De leurs pieds un sentier mena dans la forêt.
 
 

22
 
 

La forêt était une forêt circulaire sur une plaine blanche. Au milieu de la forêt il y avait une clairière circulaire. La clairière était pavée de marbre noir. Au milieu de la clairière trônait un siège.

"Bonne nuit !" Cria le siège et s'inclina poliment vers l'ombre et le garçon qui apparurent dans l'ouverture de la clairière. "Bienvenue dans ma clairière."

"Bonne nuit." Répondit l'ombre et Steinn s'y associa avec un murmure flou. "Nous devons être polis." Chuchota-t-il au garçon. "La clairière et le sentier sont à lui !"

"Chers voyageurs ! Faites une halte dans votre marche et reposez vos membres las. Je vous amuserai avec un récit d'un rêve d'une vie meilleure. Cependant je suis un siège très ordinaire d'une chambre de classe d'enfants de sept ans." Il resta immobile sur ses pieds rose clair et le dos simple se balança lentement à droite et à gauche. "Mais chaque fois que des gens passent par ma clairière je leur raconte mes rêves. J'ai formé le sentier moi-même ! Ce n'est pas un secret. Ainsi je suis sûr d'avoir des auditeurs. Cependant le temps où des sièges comme moi pouvaient construire une clairière tout seuls est passé. Et c'est pourquoi je ne dois pas me tromper. Même la plus petite méprise peut empêcher que je puisse faire les améliorations dans la clairière que j'ai projetées depuis si longtemps." Il fit une halte dans son discours et fit une pirouette. "Cependant c'est moi qui ai mis le sol en marbre sans aide. J'ai même porté les carreaux sur l'assise tout le chemin de la ville. Vous ne trouvez peut-être pas que la ville soit loin mais c'est assez loin pour une petite chaise avec des pieds roses et un dos simple. Non ! Maintenant les permis de construire sont diffusés d'après certaines règles et les mots techniques sont plus nombreux que ceux que je comprends." Il soupira indignée. "Mais je sais raconter mes rêves. Tout le monde est d'accord là-dessus. Le rêve que vous entendrez est sur une vie meilleure. Il n'est pas long mais je l'ai rêvé moi-même. Je raconte à la troisième personne au masculin et au présent. Je suis donc lui. Et il est moi !" Le siège respira profondément.

"Excusez-moi !" Steinn fit un pas vers le siège qui fut tiré en arrière avec un sifflement bruyant.

"N'approchez pas !" Cria le siège. "Il faut qu'il y ait la bonne distance entre celui qui raconte le rêve et des autres qui écoutent. Ainsi le récit devient plus vraisemblable et le pouvoir du conteur sur l'auditeur devient total. Et ça c'est chouette !" Il respira et la voix s'approfondit et devint théâtrale. "N'oubliez pas qu'il est moi et moi je suis lui !"

"Non !" Pensa Steinn et regarda l'ombre inquiet. "Nous n'avons malheureusement pas le temps de vous écouter raconter !" Appela-t-il vers le siège.

"C'est parce que je n'ai pas de coussin ?" Frémit le siège. "C'est certainement parce que je n'ai pas de coussin !" Il leur tourna le dos et tapa du pied gauche sur le marbre en colère.

"Si nous voulons continuer nous sommes obligés de l'écouter." Soupira l'ombre. "Je ne savais pas que nous étions si loin !" Il tapa dans les mains. "Applaudissons-le !" Et Steinn le joignit et les lys de sabre résonnaient les applaudissements. "Amenez le rêve ! Allez le rêve."

Le siège se retourna et fut timide et un peu arqué. "Ah bon ! Alors. Je commence le récit." Il se redressa sur les pieds arrière et marcha en long et en large dans la clairière pendant qu'il raconta. De temps en temps il fit une halte et leva un pied avant pour appuyer son propos ou traîna la voix pour augmenter le suspense. Steinn ferma les yeux.
 
 

LE REVE DU SIEGE
 
 

il est placé au milieu de la pièce sur quatre pieds profond et doux avec le dos large vers la fenêtre les accoudoirs sont épais et solides un revêtement en velours noir le couvre en entier sur le dossier devant il y a une image de lions dans du jonc de la hauteur d'un homme la nuit avec un soleil dans le ciel des franches longues tombent des bords et cachent les pieds qui ressemblent à des pieds de lion et s'enfoncent dans le tapis rond blanc doré et marron avec des franches qui s'étalent sur le plancher raides comme des poils d'une crinière de lion et s'étirent vers tous les coins de la pièce au-dessus de lui s'élève le toit dans une tour hexagonale à laquelle il manque la pointe donc la nuit est au-dessus de lui et sa chaleur monte vers le soleil dans la nuit il n'y a pas de vitre dans la fenêtre il y a du verre cassé dans les cadres la chaleur ne va pas vers là l'odeur forte est attirée à travers la fenêtre séparés de la chaleur les morceaux de verre dans le cadre de la fenêtre rendent la fenêtre comme un collier de dents de lion le sol est en terre battue la terre est noire là dedans il y a des grains d'herbes qui hibernent comme des étoiles dans une nuit qui est noire à part un soleil qui rayonne des rayons raides dans un univers hexagonal avec la nuit comme l'unique matériau des six murs et une terre d'un côté et du noir de l'autre et des étoiles qui hibernent dans l'obscurité dehors comme des grains dans un sol en terre sous un tapis rond avec des franges et là dessus il y a un siège qui tourne le dos à une fenêtre dans le mur d'une pièce hexagonale sous une tour dans un des coins de la pièce il y a la carcasse d'une gazelle contre un des murs il y a une cheminée de la hauteur d'un homme et ça brûle bien dans un autre coin de la pièce il y a la carcasse d'une gazelle contre un autre mur il y a une cheminée de la hauteur d'un homme et ça brûle bien dans le troisième coin de la pièce il y a la carcasse d'une gazelle contre le troisième mur il y a une cheminée de la hauteur d'un homme dans le quatrième coin de la pièce il y a la carcasse d'une gazelle contre le quatrième mur il y a une cheminée de la hauteur d'un homme et ça brûle bien dans les cinquième et sixième coins de la pièce il n'y a pas de carcasses de gazelles contre le cinquième mur il y a une cheminée de la hauteur d'un homme et ça brûle bien contre le sixième il y a une fenêtre et l'odeur forte est aspirée dehors par elle après avoir été séparée de la chaleur qui monte mais la fumée du feu monte par les cinq cheminées et ne s'adapte pas à la chaleur du siège qui est au milieu de la pièce sur un tapis avec des franges jaunes blanches et dorées qui rayonnent vers tous les coins de la pièce comme le soleil dans le ciel nocturne dehors où des hommes sont occupés à construire les cheminées de l'extérieur noirs comme du charbon à l'extérieur mais dorés à l'intérieur et avec des coeurs de lion tous et des colliers de dents de lion autour du cou et ils liment leurs dents pour qu'elles ressemblent à des dents de lion comme des morceaux de verre dans le cadre de la fenêtre après que la vitre ait éclaté sous la chaleur dans l'espace hexagonal et les éclats ont été projetés dans la nuit sans étoiles avec un soleil et ils les ont rassemblés et limé leurs dents et fabriqué des colliers après mais ils avalèrent la poudre qui était rassemblée dans leur bouche un mélange de verre et d'os qui les rendirent plus courageux et plus forts pour porter le combustible dans les cheminées qu'ils construisent de l'extérieur mais il y a d'autres qui amènent les gazelles et elles entrent par des ouvertures spéciales et ressortent ensuite ils chassent les gazelles où les cheminées sont construites les gazelles se déguisent comme des hommes noirs comme charbon avec des dents limées et des éclats de verre en collier autour du cou elles adorent une pâte de verre que les chasseurs ramassent sous la fenêtre qui est sur le seul mur de la pièce où il n'y a pas de cheminée mais en mangeant la pâte de verre la gazelle meurt d'un saignement intérieur et les intestins dorés deviennent tous noirs sauf le coeur qui rayonne comme un soleil et la pâte de verre dans le corps noir ressemble à des grains d'herbe hibernant dans la nuit sous les pieds du siège et alors on prend les gazelles et on les fait entrer par des ouvertures spéciales dans quatre coins de la pièce avant qu'on leur coupe les coeurs et scie les cornes
 
 

23
 
 

Mjöll fait la main à l'homme en bas sur la plage et il soulève un chapeau imaginaire et s'incline profondément. Elle tient deux poissons et les balance en marchant.

"Tu lis avec les yeux fermés ?" Demande-t-elle à Steinn sous l'arbre. "Regarde ce que j'ai eu pour nous !"

Steinn ferme le livre et le glisse dans une poche de sa veste.

"Tu as son bonjour. Peut-être que nous le reverrons un jour. Je lui ai parlé de toi. Celui-ci est pour toi !" Elle soulève un petit brochet par la main droite. "Et celui-ci est pour moi !" Elle soulève un poisson-papillon multicolore par l'autre et dépose ensuite les poissons côte à côte aux pieds de Steinn.

"Où est-ce qu'il a eu tous ces poissons ?"

"Il a acheté un musée de poissons pour libérer les pauvres animaux mais les poissons étaient si turbulents dans la bassine et il avait tellement de mal à les attraper si vivants et frétillants qu'il n'a vu aucune autre solution que de les tuer. Il avait déjà le lance-pierres et quand les poissons ne voulaient pas couler assez vite il a été obligé de les vider." Elle prend les poissons par terre dans les mains et met les têtes l'une contre l'autre. "Je suis le mien et tu es le tien ?"

Ils tiennent chacun leur poisson et les tiennent de façon à ce qu'ils bougent leur queue quand ils les font parler.

Steinn commence.

"Bonjour poisson-papillon multicolore !"

"Bonjour petit brochet !"

"Nous voici !"

"Tous les deux seuls !"

"Oui ! C'est curieux n'est-ce pas ? Je n'aurais jamais imaginé que nos chemins devaient se croiser."

"Moi non plus. Et ici précisément."

"Et si loin du musée !"

"Je ne me rappelle même plus où c'est !"

"Non ! Ca fait trois jours entiers depuis qu'on a été achetés de là-bas."

"C'est si loin ? Aussi j'ai presque tout oublié de là-bas. Dis-moi brochet. Les autres te manquent ?"

"Un peu. Mais maintenant je t'ai !"

"Et moi je t'ai !"

Steinn et Mjöll frottent ensemble le nez des poissons et s'embrassent au-dessus d'eux.

"Imagine ! Nous voici en train de nous embrasser et nous ne nous connaissons que depuis trois quarts d'heure. Eh !"

"Oui ! Je ne t'avais pas du tout remarqué dans la bassine. Je ne te voyais pas avant qu'on soit dans les mains de la fille !"

"Mais toutes ces années nous étions dans le même musée marin. Moi dans le département des poissons d'ornement et toi dans le département des poissons utilitaires."

"Tu ne trouves pas extraordinaire dans ces aquariums qu'on ne voit pas à l'extérieur. Mais il y avait toujours des images fluctuantes sur le verre et un jour on s'est rendu compte qu'on nous regardait !"

"Oui ! Exact ! Quand j'étais en train d'éclore dans le sous-sol sous la salle d'exposition. Tu t'en souviens ?"

"Non ! Je n'y suis jamais allé. J'étais capturé et emmené vivant au musée quand j'étais petit. Guère plus qu'un alevin. Mais un brochet qui était dans le même aquarium que moi est descendu dans le sous-sol quand il est tombé malade. A eu une infection dans une nageoire ou quelque chose comme ça. Et il me l'a raconté. Continue mon gentil poisson-papillon."

"Si ! Rapidement après que nous sommes sortis des oeufs - nous étions trois cents dans ce groupe - des écoliers sont venus et ils nous ont observés avec des loupes. Tu peux t'imaginer comment ça criait dans l'aquarium. Ils ont même attrapé les moins chanceux parmi nous et les ont mit sous des microscopes !"

"Ohlala !" Mjöll et Steinn frissonnent d'horreur.

"Bon ! Je crois que c'est l'heure de manger. Qu'est-ce que tu crois mon cher brochet ?"

"Je pense que ça doit forcément être l'heure. J'ai tellement faim. Mon cher poisson-papillon."

"Et qu'est-ce qui aurait à manger ?"

"Mmm. Qu'est-ce que tu penses si toi t'as le garçon et moi j'ai la fille ?"

"Ca me paraît très bien. T'as une idée de comment nous devrions les préparer ?"

"Nous pourrions les faire rôtir sur une broche. Il y a plein de branches sèches ici sur les falaises. Ou - et je pense que c'est un choix plus appétissant - nous prenons de la boue au fond du petit lac et les couvrons et les mettons directement sur le feu !"

"Génial !"

"Et quand la boue a séché et commence à craqueler ils sont prêts."

"Ecoute ? Je crois que je préfère le garçon comme il est. Neuf et frais !"

Mjöll prend la tête du poisson-papillon et lui ouvre la bouche et le poisson mordille le bras de Steinn.

"Mjöll ! Mjöll ! Les poissons prennent le pouvoir. Il faut que nous contre-attaquions ! Steinn se tourne sur le dos et se bat avec le brochet à la vie ou à la mort. Le brochet plonge vers son visage et essaye de lui crever les yeux et de l'égorger. Finalement c'est Steinn qui prend le dessus et il regarde le brochet triomphant dans les yeux. "Oui ! Maintenant c'est le moment petit brochet. T'as donné toi-même la recette de ta propre fin." Il rit comme un fou.

"Steinn ! Tu disjonctes complètement ?" Mjöll est au-dessus de lui avec les mains pleines de branches sèches. "Aide-moi à faire le bûcher." Elle arrange les branches dans une dépression dans la roche et place des pierres autour. Steinn cherche ce qui manque et ajoute au bûcher.

"Allumons le feu !" Dit-il et sort un briquet argenté avec les initiales de Mjöll et allume une branche et porte la flamme au bûcher à trois endroits et attend qu'il brûle bien.

Mjöll rince les poissons dans le petit lac. Elle écrase des feuilles sèches dans sa main et les met à l'intérieur avec des pétales des fleurs bleues. Ensuite elle couvre les poissons avec la boue humide et les place sur le feu. Et rafraîchit ce qui reste du vin dans le lac.

La nuit tombe vite au-dessus d'eux et autour d'eux. Ciel et mer se confondent. La première étoile du soir se pointe furtivement. Seule entre la lune et des nuages qui s'épaississent au-dessus de la ville au loin. Steinn et Mjöll regardent le feu. S'embrassent. Ils regardent le feu. Et s'embrassent.

"Boris !" Dit Mjöll et regarde derrière elle.

"Je m'appelle Steinn." Répond Steinn.

"Non ! Je veux dire. Je me demande si elle n'a pas faim ?" Concentrée elle tend l'oreille dans le soir.

"Je ne m'inquiéterai pas pour Boris après ce qui s'est passé ce matin. Pourquoi tu penses à elle ?"

"Je croyais entendre quelque chose. Comme des pas légers !" Mjöll passe sa main sur une noix tombée et se pique jusqu'au sang mais Steinn embrasse la blessure.

"Il n'y a pas de chats ici." Il pointe vers le ciel. "Sauf le chat dans la lune !"

Et puis.

"Quand est-ce que le soir devient nuit ?" Demande Steinn.

"Maintenant !" Répond Mjöll. "On servira un dîner pour deux."
 
 

24
 
 

Mjöll interroge Steinn du regard quand il descend la falaise et le sable et vient vers elle en courant.

"J'éteignais le feu." Il lui enlève le panier et met son bras autour de ses épaules. "J'ai fait pipi dessus !"

"Steinn !" Dit Mjöll et lui pince la fesse droite. "T'es comme ça alors ?"

Ils retournent vers le restaurant. L'homme bleu en néon au-dessus de la porte clignote. Apparaît et disparaît comme dans une mer sombre. Derrière le restaurant il y a un banc d'où part le bus de plage. Ils s'asseyent.

Mjöll regarde sa montre. "Le dernier part dans une demi-heure ! Nous avons le temps de faire le dernier jeu de la journée."

"Et le premier jeu de la nuit." Steinn claque la langue.

"A quoi tu penses ?" Elle est pensive un instant. "Je me suis décidée !"

"C'est plus petit qu'une main ?"

"Non."

"Je l'ai vu ?"

Oui."

"Plus grand qu'une tête ?"

Ouioui !"

"Plus grand que moi ?"

"Parfois et parfois pas."

"Ca vient du règne végétal ?"

"Oui."

"Un objet ?"

"Oui."

"C'est courant ?"

"Oui."

"C'est en bois ?"

"Oui."

"C'est seulement en bois ?"

"Non."

"Aussi en métal ?"

"En partie."

"Tout le monde s'en sert ?"

"Non."

La plupart des gens ?"

"Oui. La plupart des gens à un moment donné."

"C'est lourd ?"

"Ca dépend."

"Je pourrai le porter ?"

"Pas seul."

"Mais je l'utilise seul ?"

"La plupart du temps."

"C'est plein ?"

"Non."

"Creux à l'intérieur ?"

"Oui. Quand on ne l'utilise pas."

"On l'utilise debout ?"

"Non."

"On entre dedans ?"

"Oui."

"Et on l'utilise seul ?"

"Oui."

"Et on le ferme ?"

"On ferme derrière toi !"

"Tout le monde sait comment faire ?"

"On n'a pas besoin de savoir."

"Tu l'as utilisé ?"

"Pas encore !"

"Vous là-bas !" Quelqu'un avec une tête laide crie sur eux à travers une fenêtre derrière le restaurant. "Qu'est-ce que vous attendez ?"

"C'est qui cette bonne femme horrible ?" Dit Steinn à Mjöll. Et appelle à son tour. "Nous attendons le dernier bus pour la ville !"

"Il est parti ! Il y a une demi-heure. Il ne voulait pas rater le match. Vous auriez pu vous le dire vous-mêmes. L'homme est un fou de football. Il a joué avec l'équipe nationale grecque quand il était jeune. Dit-il. Certainement faux dit mon mari." Un fort soupir de déception vient de la maison et la tête disparaît.

"Mais comment allons nous rentrer ?" Appelle Steinn.

"Rentrer ? Rentrer ? Je n'ai pas le temps." Hurle-t-elle avec la nuque. "Je le suis moi-même. Rentrer ? Le vieux peut vous aider. Ils attaquent ! Allez le voir. Ils attaquent ! Il est dans la cabane. Avec les palmiers. Et ils attaquent !" Hurle la femme et le hurlement devient un soupir douloureux.

"Je croyais qu'il n'y avait personne ?" Mjöll regarde Steinn qui hausse les épaules et se lève.

"Ca ne nous coûte rien d'y aller. Puis j'ai envie de voir les palmiers en aluminium."
 
 

25
 
 

L'ombre fut à côté d'une grande porte en acier et essaya de mettre une clé dans la serrure. Elle tint un grand anneau avec trois cents trente et trois clés de toutes les tailles et sortes et essaya l'une après l'autre dans la serrure sans pouvoir ouvrir. La porte ferma une colonne en granit de la taille d'un homme. Sur le sommet de la colonne se trouva une statue d'un ballon de football en marbre blanc et noir. Une oeuvre d'art classique et sculptée d'une main de maître. Chaque couture clairement visible et le bouchon profond. Le ballon était bien poli et les hexagones noires reflétèrent la seule étoile de la nuit. Et il était comme si on allait l'envoyer dans l'espace vers elle d'un instant à l'autre.

Steinn se reposa contre la colonne et mit sa joue contre le granit frais. Il écouta les grondements lourds de la forêt et il vit les lys de sabre tomber et une fumée pourpre se lever là ou elles tombèrent. Il y eut un nuage épais au-dessus de la forêt et les grondements s'approchèrent. A mi-chemin entre la lisière de la forêt et la statue une femme fut allongée dans le sable et dormit.

"Elle est toujours là ? Demanda l'ombre et enfonça une clé dans la serrure.

"Oui !" Répondit Steinn. "Et seule."

"J'aurais pensé que quelqu'un devait être avec elle maintenant !" L'ombre lâcha l'anneau avec les clés et le laissa suspendu à la clé dans la serrure et marcha vers Steinn. "T'as du feu ?" Il plaça un cigare mince dans un porte-cigarettes jaune comme un os et attendit patiemment pendant que Steinn chercha sans résultat le briquet dans toutes les poches. "Ca ne fait rien. De toute façon je ne fume pas !" Il tint le cigare entre les doigts verticalement et tourna le porte-cigarettes vers le haut. "J'avais juste envie de te montrer ça. Tu ne dirais pas que c'est jaune comme un os ?"

Steinn hocha la tête. "Ou blanc comme un os."

"Exactement." Dit l'ombre. "Je t'avais déjà raconté quand j'ai perdu le doigt ?" Il souffla sur le porte-cigarettes. "J'ai eu de la chance de ne pas perdre le pied. Alors j'aurais dû apprendre la flûte."

Le vent souffla sur le sable et les trois cents trente et trois clés retentissent et la porte s'ouvrit avec un craquement faible.

"Enfin !" L'ombre l'ouvra mieux. "C'est toujours l'avant-dernière. Allons-y !" Il passa le seuil et descendit de trois pas les marches raides qui descendirent presque verticalement dans l'obscurité à l'intérieur.

"Maintenant quelqu'un vient vers elle !" Steinn regarda excité le sable où quelque chose ressemblant à une ombre d'un grand chat sortit de l'obscurité et flaira la femme et se posa pas loin d'elle et attendit. Il se dépêcha vers l'ombre et regarda tout le temps derrière lui. Et la dernière chose qu'il vit avant que la porte se referma fut une nouvelle étoile dans le ciel de la nuit.

"Quel genre de monde est-ce ?" Se demanda Steinn et à l'ombre et à l'obscurité qui les entoura sur leur chemin vers le bas.

"Je suppose qu'il ressemble en beaucoup au tien !" Répondit l'ombre.

"Sauf qu'ici les enfants demandent aux adultes pourquoi le ciel est noir !" Ajouta l'obscurité.

"Quand ils eurent descendu les marches Steinn entendit l'ombre sortir une feuille de carton et un petit bruit comme s'il l'enfonça dans la fente d'un mur. Alors une sonnerie forte et sonore retentit et de fortes ampoules s'allumèrent suspendues à des fils électriques multicolores et tordus qui descendirent du plafond au-dessus des marches.

Ils furent contre un mur. Les marches finirent dans un mur gris.

"Alors nous sommes arrivés !" L'ombre soupira.

"Arrivés où ?" Steinn regarda autour de lui mais vit aucune porte et aucun autre chemin que celui qui remonta les marches.

"Au bout de la route." Répondit l'ombre ému. "Nous nous séparons ici." Il prit la main du garçon. "Au revoir !"

"Au revoir !" Steinn répéta et ne fut pas surpris par la main douce de l'ombre. Il ne savait pas quoi faire mais l'ombre lui toucha légèrement l'épaule et le poussa doucement. Dès qu'il mit le pied sur la première marche la première ampoule s'éteignit et puis elles s'éteignirent les unes après les autres au fur et à mesure qu'il approcha de la porte.

En bas dans l'obscurité l'ombre marcha en long et en large et se parla à lui-même.
 
 

26
 
 

Sur le sable. Les palmiers en aluminium scintillent. La mer respire. Le ciel est noir et sans fin. Un oiseau de sable vole au-dessus et crie comme une petite fille qui rêve qu'elle survole sa rue et que rien ne la retient à la terre sauf un fil très fin de sa chemise de nuit qui s'accrocha au bord inégal de la fenêtre quand elle fut soulevée du lit et vola dans le noir.

"La voilà." Mjöll pointe vers l'ouest.

"Venus haut dans le ouest rayonne." Chantonne Steinn et met une main sur le coeur et rend sa voix plus grave. "Pâle comme le givre et gris !"

Mjöll rigole.

"Tu trouves ça drôle." Steinn serre sa main plus fort.

Le sable est lisse et sans traces de pas autour de la cabane. Un siège-lune aux carreaux sous les palmiers. Sur la porte poussiéreuse il y a une marque rouge clair d'un panneau triangulaire.

"Peut-être qu'il dort déjà." Dit Steinn et frappe légèrement. Rien ne se passe. Il frappe plus fort et rien ne se passe.

"Je ne peux pas m'imaginer qu'il y a quelqu'un de vivant ici." Mjöll dessine une serrure dans la poussière sur une vitre sur l'autre côté et regarde à l'intérieur mais ne voit rien à cause d'une page jaunie d'un journal portugais qui a été collée à l'intérieur de la vitre. "Et voici des annonces de décès !"

Steinn prend la poignée mais la porte est fermée et il va donc vers le siège-lune et s'assied. Le siège hurle douloureusement et plaintivement. Steinn essaie de bondir debout et attrape les palmiers qui tombent avec un long grincement et le siège tombe sur le côté. Et quand Mjöll vient en courant Steinn est assis sur le sable entre le siège-lune et les palmiers en aluminium mais un homme très vieux portant un costume à carreaux et une toque en fourrure grise et de la barbe jusqu'aux yeux es tient au-dessus de lui et grogne dans sa poitrine. "Il est méchant. Tu ne seras jamais méchant. Tu est le gentil garçon de ton papa." Et les yeux jaunes clignotent sous les sourcils qui se joignent. "Le petit garçon de ton papa !" Un chiot effrayé avec un visage bien rasé regarde d'en dessous du col gauche de la veste et le vieux le gratte avec des ongles longs et courbés et arrange un bonnet en coton léger sur la tête et on ne voit donc pas les oreilles.

"Excusez-nous de vous déranger ! On nous a dit que vous pourriez peut-être nous aider à aller vers la ville." Mjöll sourit secrètement à Steinn qui s'est levé et essuie le sable de ses vêtements.

"Non !" Le vieux fait semblant de ne pas voir Steinn mais regarde Mjöll de biais. "Nous louons des motocycles."

"Où ?" Demande Steinn.

"Il est méchant !" Le vieux pointe sur Steinn et met son pied secrètement sur le briquet que Steinn a perdu quand il est tombé du siège.

"Est-ce qu'on peut vous louer une moto ?" Demande Mjöll et fait comme si elle n'a pas entendu la remarque du vieux.

"Non ! Il y a une libre. Elle n'est pas à louer. Vous pouvez l'avoir !" Le chiot se débat à l'intérieur de la veste et le vieux le dépose doucement dans le sable.

"Combien ça coûte ?" Demande Mjöll.

"Rien. Vous payez quand vous rendez la moto." Il claque les doigts et le chiot s'anime. "Nous avons un numéro. Tu ne peux pas le voir parce que t'es méchant. Elle seule peut le voir. Elle est contre le mur de l'autre côté. La clé est dedans. Va la chercher. Elle peut regarder." Steinn disparaît derrière l'angle de la cabane et le vieux se penche en avant et le chiot court sur ses jambes et au-dessus du dos et saute de l'épaule gauche et court entre ses jambes et recommence. Encore et encore le même chemin.

Steinn met le contact et vient sur la moto devant la cabane.

"Maintenant il faut que j'y aille !" Mjöll court vers Steinn et s'assied sur le derrière de la moto. "Nous revenons demain !" Ils démarrent.

"Ne viens pas avec lui." Appelle le vieux sans se redresser. "Il est si méchant !" Et le chiot continue à grimper et à sauter.

Le vieux tourna le dos à la cabane et encouragea le chiot avec des cris stridents et ne remarqua pas que la porte s'ouvrit et que Steinn et l'ombre sortirent.

"Aïe ! Je ne suis pas sorti depuis trois cents ans. Et tu es si sympathique que j'ai trouvé que c'était une bonne idée de profiter de l'occasion et regarder la vie avec toi." L'ombre ferma la porte derrière eux. "Mais je ne peux pas rester longtemps !"

"Je ne savais pas ce qui se passait quand t'es venu après moi dans l'escalier." Steinn regarda autour de lui et vit l'homme et le chiot. Il pinça l'ombre. "Ca ne s'arrange pas !"

"Qu'est-ce que tu fais là ?" Entonna l'ombre et des étincelles bleues apparurent dans ses yeux. Le vieux sursauta et le chiot disparut sous le siège-lune et gronda. "Tu ne devrais pas être dehors ici ! Il attrapa le vieux et le souleva sur son col et le porta vers la porte et l'ouvrit brutalement et le jeta dans l'obscurité et claqua la porte. Un instant plus tard on frappa. "Qu'est-ce que tu veux ?" Siffla l'ombre à travers les dents serrées.

"Je veux mon fils ! Tu n'as pas le droit de retenir mon fils." Cria le vieux de l'intérieur de la cabane.

"Tu peux attraper cette saleté de chien ?" L'ombre pria Steinn qui s'accroupit sur le sable et chercha en tâtonnant le chien et l'attrapa par la nuque et le tira mordillant en dessous du siège. L'ombre ouvrit la porte et le vieux regarda inquiet dehors et pâlit sous la barbe quand il vit le chiot dans les mains de Steinn.

"Je croyais que je t'avais dit de ne jamais revenir ici méchant garçon ! Lâche mon fils. Lâche-le tout de suite ! Sinon je ne rend pas le briquet !" Le vieux secoua son poing vers Steinn qui lâcha le chiot. Il déboutonna la veste et la chemise pourrie et se pencha en avant et le chiot sauta dans la cavité abdominale ouverte. "Voilà !" Il jeta le briquet à Steinn et hurla à l'ombre. "Je pouvais bien être ici." Et disparut avec son fils qui avait commencé à lui ronger le dos mais aboya fort dès qu'ils ne devinrent rien et disparurent.

"Ils sont partout !" Dit l'ombre l'air fatigué à Steinn qui regarda le briquet sans comprendre. "Bon briquet ?"

"Il est pour toi." Steinn tendit le briquet à l'ombre.

L'ombre sortit la boîte avec le raisin sec et la reine d'échecs et l'ouvrit et simula une surprise. "Il tombe parfaitement dans la troisième fente comme fabriqué sur mesure." Il siffla.

"Tu sais faire du vélo ?" Demanda Steinn. "Il y a un vélo pour deux personnes de l'autre côté du mur !"

"Non !" Répondit l'ombre et remit la boîte à sa place. "Mais j'ai entendu dire que c'est facile et amusant."

"Je vais t'apprendre !" Dit Steinn et chercha le vélo. Il s'assit sur la selle devant et l'ombre sur selle derrière. "Met les pieds sur les pédales et pédale."

"Maintenant c'est toi qui diriges !" L'ombre ricana.

Ils partirent en pédalant. D'abord lentement. Puis pas du tout. Alors encore lentement ? Et enfin vite quand ils arrivèrent sur la route.
 
 

27
 
 

Sous le ciel étoilé. Ville et plage. Une route entre les deux. Un nuage au-dessus de la ville. Sur la route une moto. Garçon et fille. Venant de la plage. La fille met les bras autour du garçon et joint les mains sur le bas de la poitrine. Repose la tête sur son dos et sent chaque mouvement. Ressent les avancées brutales quand il redresse la moto. Le sable est sombre dans l'obscurité des deux côtés de la route.

"Nous devrions être rentrés vers onze heures !" Il appelle et prend son souffle.

"Ralentissons alors !" Répond elle.

Il ralentit. Une lumière blanche vacillante derrière eux.
 
 

28
 
 

Sous le ciel étoilé. Ville et plage. Une route entre les deux. Un nuage au-dessus de la ville. Sur la route un vélo pour deux. Garçon et ombre. Venant de la plage. Le garçon se pencha en avant et agrippa le guidon plus fortement. Il sentit une haleine froide sur la nuque quand l'ombre rit. Sentit qu'il pédala plus vite et avait des difficultés à le garder droit. Le sable sombre des deux côtés de la route.

"Il ne nous reste pas beaucoup !" Appela le garçon à l'ombre et prit son souffle.

"Dépêchons-nous alors !" Répondit-il.

Ils accélèrent. Une lumière faible rouge devant.
 
 

29
 
 

Un nuage au-dessus de la route.

Une lumière faible rouge. Une lumière blanche. Obscurité entre les deux.

Mjöll et Steinn. L'ombre et Steinn.

Steinn conduit. Steinn pédale.

"De qui est-ce ?" Demande Mjöll et siffle un morceau de chanson. Et se répond à elle-même. "Le canari à l'étage en dessous !"

L'ombre tapa sur le sommet du chapeau haut de forme pour mieux l'asseoir.

Mjöll pousse le bout de son nez légèrement dans le dos de Steinn pour se réchauffer.

"Deux pédalent !" Chantonna l'ombre.

Mjöll détache une pédale de rose qui est accrochée entre les dents avec la langue.

"Steinn ! T'en veux ?" Hoqueta l'ombre et lui tendit le flasque en argent avec l'alcool à la fraise.

"T'as gratté la blessure !" Mjöll essuie une mince coulée de sang sur la joue de Steinn.

Un bout de fil rouge pendit à la manche de la veste de Steinn et l'ombre le prit et avala. "C'est mieux d'avoir trois bras !"

"Tu veux qu'on passe au "Café de Rêve" pour boire une tasse avant de dormir ?" Demande Mjöll et Steinn hoche la tête.

Un nuage se retira de la lune et la lumière pâle dessina l'image de l'ombre sur la route.

Mjöll chuchote. "La lune est notre compteur de vitesse !"

L'ombre souffla dans un ballon noir et le lâcha dans la nuit.

"Je ne crois pas que j'ai trente-deux grains de beauté !" Mjöll.

"Tu crois qu'il y a une chance que je voie ce poisson-poumon sans bouche pendant que je suis là ?" L'ombre.

"Ca se rafraîchit. Il ne faisait pas aussi froid au musée de poissons !" Dit Mjöll et se serre contre Steinn.

"Plus vite ! Plus vite !" Cria l'ombre et lâcha le guidon des deux mains et tapa Steinn avec autorité. Il sortit le revolver et se leva à moitié sans arrêter de pédaler et visa les nuages et tira trois coups de feu les uns après les autres.

Un instant avant que le percuteur frappa la première balle un éclair se lança et un éclair et le troisième. Et des tonnèrent grondèrent.

"Accroche-toi bien !" Crie Steinn à Mjöll à travers les explosions quand ils approchent la colline aveugle. Il accélère dans la montée et la lumière de la moto tombe sur le signal triangulaire. Dès que Steinn et Mjöll passent le sommet de la colline ils entrent dans une giboulée de grêle et des morceaux de glace de la taille d'oeufs de bruant de neige s'abattent sur eux.

La moto est projetée sur la route et fait plusieurs tours avant qu'elle s'arrête au milieu. Un tas fumant méconnaissable.

Steinn traverse la route en un haut arc et tombe sur le dos dans le sable. Il est allongé au bord de la route avec les jambes écartées et les bras de chaque côté du corps. Comme un x.

Mjöll effectue une grande culbute en avant. Elle s'étire pour que la plante des pieds touche à peine la route et elle est soulevée et plane en plein milieu de la tempête. La robe d'été ondule doucement autour d'elle et les cheveux noirs flottent comme dans une brise tiède d'été. Elle tourne lentement sur elle-même et monte un peu plus haut à chaque tour.

Mjöll plane. Mjöll tourne. Et Mjöll monte. Comme endormie.

La grêle descendit la route de la plage en rageant.

Un morceau de glace de la taille d'un ballon de football tomba sur la route devant Steinn et l'ombre. Ils le contournèrent et pédalèrent plus vite. Steinn se courba sur le guidon et pédala avec tant d'ardeur qu'il ne leva pas les yeux. Il n'avait jamais pédalé aussi vite. L'ombre pédala pour la première fois. Il pédala debout et tint un parapluie déployé au-dessus de Steinn. Et les morceaux de glace ne le touchèrent pas non plus. Ils s'amassèrent sur le chapeau haut de forme et tombèrent en sautant avec des bruits creux.

"Assieds-toi." Cria Steinn à l'ombre quand ils pédalèrent en dehors de la grêle et approchèrent la colline aveugle. "Il faut que nous soyons coordonnés pour monter la colline !" Alors il leva les yeux.

Mjöll plane et Mjöll monte.

Avant que Steinn ne s'en rendit compte ils avaient atteint le sommet de la colline.

"Je vais arranger ça !" L'ombre grimpa sur la selle et se projeta dans le ciel en même temps que le vélo tomba de la crête.

Steinn traversa la route en un haut arc et tomba sur le dos dans le sable. Il fut allongé au bord de la route avec les bras de chaque côté du corps et les jambes écartées. Comme un x.

Route et colline. Nuit.

Mjöll plane.

L'ombre fut suspendue en l'air au-dessus de la colline. Elle tendit la main après la fille et attrapa une de ses chaussures avec trois doigts.

Mjöll ouvre les yeux. Elle le regarde d'en haut et met un doigt sur ses lèvres. Et enlève la chaussure.
 
 

FIN

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_____prose_. p r o s e
prose_(,)__h o m e.__*